Aubagne fut longtemps la petite ville tranquille dans laquelle naquit Marcel Pagnol il y a près d’un siècle, presque endormie, essentiellement ouvrière, située à une quinzaine de kilomètres à l’est de Marseille. Lorsque les habitants de la deuxième ville de France ont commencé à la déserter, durant les années 80 et 90, la population d’Aubagne a fortement augmenté pour atteindre actuellement plus de 40.000 habitants. C’est là que vit et travaille Pierre Rodeville, paraplégique depuis un accident survenu dans sa jeunesse.
Ce sont des élus de l’équipe municipale en place qui lui demandent, en 1995, de participer à la vie municipale en se présentant sur leur liste aux élections. « J’avais des activités associatives, je suis l’un des fondateurs de la compagnie ‘Tétines et Biberons’ qui formait des personnes handicapées physiques à la pratique théâtrale [Depuis, cette compagnie fait essentiellement travailler des personnes handicapées mentales NDLR]. En 1991 j’ai fondé un festival du film vidéo ». Il devient alors conseiller municipal, élu sur la liste d’union de la gauche conduite par le communiste Jean Tardito. « Je n’ai pas d’appartenance politique, précise Pierre Rodeville, j’ai des idées progressistes. Je pense qu’il y a des idées intéressantes partout. La politique locale est très différente de l’action au plan national, elle se situe sur le terrain, le positionnement dans un camp politique prend moins d’importance. Je travaille aux côtés d’élus du Parti Communiste, du Parti Socialiste, du Mouvement Républicain et Citoyen (ex MDC), du Parti Radical de Gauche et de membres de la société civile. Au quotidien, mon travail c’est d’écouter les gens et leurs projets, voir s’ils s’accordent avec la politique de la ville, en privilégiant l’action de proximité et de quartier ». Aubagne, en effet, réalise peu de grandes manifestations à portée nationale en dehors des Journées du livre jeunesse et des rencontres Argila autour de la céramique; la municipalité préfère aider la vie sociale et culturelle au plus près des habitants. Elle a néanmoins rouvert un théâtre, le Comédia, qui reçoit de grands noms à la faveur de tournées. Quant au festival de rues organisé il y a quelques années, il est désormais étalé durant l’année entière sous la forme de mini- événements.
Comme la plupart des villes des bords de la Méditerranée, la cité s’est bâtie et développée sur un relief de collines, posant potentiellement des difficultés de déplacement. « Je vis très bien à Aubagne, affirme Pierre Rodeville, dans les rues on voit de nombreuse personnes handicapées qui promènent, font leurs achats, ont des activités. Plus même qu’à Marseille. La visibilité est importante pour améliorer l’accessibilité: les élus ne votent pas de crédits pour une population qu’ils ne voient pas ». Après l’élection de 2001, gagnée à nouveau par la liste d’union de la gauche menée par Jean Tardito, Pierre Rodeville devient adjoint au Maire chargé de la culture. « Je ne voulais pas m’occuper uniquement des personnes handicapées. J’ai la conviction que le travail que je réalise en faveur de l’accessibilité des activités culturelles est plus porteur que si j’avais simplement été adjoint aux personnes handicapées ».
Plus précisément, il coordonne le travail d’une commission municipale aux vastes compétences: épanouissement de l’individu, solidarité, sport, culture, santé. « Cela nécessite beaucoup de dialogue avec les élus et l’administration ». Pourtant, n’est pas si facile, « on n’est pas à la même hauteur que les autres quand on est assis en permanence. J’ai eu ce sentiment, parfois, de ne pas exister au milieu des gens, il y a encore une barrière : la personne handicapée demeure en état d’infériorité physique, les valides ont toujours une tendance à nous minorer. Cela m’a appris la débrouille, j’essaie de rester zen pour que les gens deviennent accessibles ». Pierre Rodeville avoue toutefois avoir parfois envie de « cogner », de « rentrer dedans ». « Je suis sur un fauteuil roulant, ça se voit. Dans les rapports avec la population, ça peut créer un certain blocage, les gens viennent moins facilement vers moi que vers les autres élus ». Ce que cet homme marié, père de quatre enfants, assume avec philosophie. L’important pour lui, c’est d’être bien dans sa ville.
Laurent Lejard, juin 2003.