Depuis un arrêt du Conseil d’État en date du 21 juillet, des constructeurs et promoteurs immobiliers sont dans la panade et le font savoir : les dérogations qu’ils ont pu obtenir en s’appuyant sur un décret du 17 mai 2006 sont annulées et leurs bâtiments ainsi construits désormais hors la loi. Saisi par l’Association Nationale pour l’Intégration des Personnes Handicapées Moteurs (ANPIHM), le Conseil d’Etat a rappelé qu’un décret ne pouvait réduire le champ d’application d’une loi, et que les législateurs n’avaient pas voulu créer de cas de dérogation à l’accessibilité pour les personnes handicapées de toutes les nouvelles constructions à usage collectif. L’homme qui a contribué à rappeler à l’ordre l’administration centrale et à placer devant leurs responsabilités les ministres signataires d’un décret illégal s’appelle Christian François.

Pyrénéen d’adoption, il s’est spécialisé tardivement dans l’accessibilité et ses aspects juridiques, après une vie laborieuse passée dans les services de la Ville de Paris. Atteint par la polio peu après sa naissance en 1948, il a vécu en institution jusqu’à l’âge de 15 ans, puis a suivi une scolarité ordinaire. Suite aux désordres résultant de mai 1968, il a pu entrer à l’université grâce au premier examen spécial destiné aux non bacheliers, et a choisi l’informatique. Un domaine qu’il a retrouvé à la fin de sa carrière, au service d’informatisation des plans de la voirie de Paris. Durant ses années étudiantes, il a croisé Vincent Assante, et s’est lié d’amitié avec cet infatigable militant de l’autonomie des personnes handicapées. Sans pour autant le suivre au Parti Socialiste, dont Vincent Assante a été Secrétaire national au handicap, bien que Christian François se sente proche de ce parti de gauche. « J’ai encore un peu de naïveté à l’égard des politiques en leur demandant de faire ce qu’ils disent », confesse-t-il.

Après une mise à la retraite d’office en 1995, Christian François a renoué avec Vincent Assante, pour travailler à ses côtés au redressement de plusieurs associations de polios. Il est ainsi devenu administrateur de l’ANPIHM présidée par Vincent Assante. « Et la loi est arrivée, explique Christian François. Je me suis lancé à fond dans le volet accessibilité, décortiquant le projet de loi de 2003. J’ai comparé les nouveaux textes avec les précédents, notamment la circulaire 82-81 voulue par Roger Quilliot, alors ministre de l’Urbanisme et du Logement. En 1982, cet humaniste affirmait que des solutions devaient être trouvées pour tous les immeubles, même ceux de montagne ». Cet engagement a fait entrer Christian François en relation avec des parlementaires de tous bords, dont les députés Jean-François Chossy et Jean-Paul Alduy (également maire de Perpignan). Ce dernier, urbaniste de profession, a travaillé avec l’architecte qui fit longtemps référence, Louis-Pierre Grosbois, a l’élaboration de la loi d’orientation du 30 juin 1975.

« La loi réformant celle de 1975 est finalement passée, poursuit Christian François, puis sont tombés les premiers textes des décrets. Et là, j’ai vu qu’ils étaient catastrophiques ». Grâce notamment au soutien de Jean-Luc Simon, Christian François a trouvé un exutoire à sa colère, en siégeant au titre de la Coordination Handicap et Autonomie (C.H.A) au sein de la commission accessibilité du Conseil National consultatif des Personnes Handicapées (C.N.C.P.H). Cela, peu de temps après que ce Conseil eut examiné le décret que Christian François a fait chuter : « Avec le représentant de l’A.F.M, on est entré en guerre, et des avis négatifs ont commencé à être émis. Avant, les projets passaient tous, parfois avec des réserves ». Et de fait, les « experts » des associations nationales n’ont pas repéré un décret vidant potentiellement de sa substance l’accessibilité à tout pour tous instituée par la loi du 11 février 2005.

Fort d’un succès inattendu, après trois années de procédure, Christian François veut maintenant agir pour que les défauts de la loi soient corrigés : « On doit profiter de la décision du Conseil d’Etat pour repositionner la législation. Il faut revoir les dispositions sur la sécurité, les escaliers ». Critique sur la création annoncée par le Gouvernement d’un observatoire de l’accessibilité, il ne souhaite pas y participer. Et il s’interroge sur la revendication de certaines associations de créer une agence de l’accessibilité universelle : « Ça va être quoi ? Si c’est pour travailler avec des pointures dans le domaine de l’accessibilité, je suis d’accord. Mais si c’est pour voir les mêmes… »

Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2009.

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