C’est une évidence de constater que la médiation est encore marginale en France, où l’on préfère imposer son point de vue sur fond de réglementation à respecter… ou à contourner. Dans d’autres pays, les relations entre les citoyens et l’administration sont davantage fondées sur une discussion qui laisse place, lorsque les divergences demeurent, à un arbitre, un médiateur souvent appelé ombudsman. C’est cette fonction qu’occupe en Finlande Heikki O Haulisto, dans le domaine de l’accessibilité. Architecte retraité depuis quelques années, il a été affecté par la poliomyélite deux ans après sa naissance en 1943. Et c’est avec béquilles et orthèses qu’il a effectué sa scolarité, en établissements ordinaires, jusqu’à obtenir son diplôme d’architecte en 1968, et diriger ensuite durant une vingtaine d’années son propre bureau d’architecture à Turku, (cité de la pointe sud-ouest de la Finlande qui était, en 2011, ville européenne de la culture) où il réside dans un appartement du centre ancien. La municipalité l’a recruté en 1990 pour diriger le bureau des permis de construire. Il est devenu en 2004 Médiateur officiel en accessibilité, second ombudsman accessibilité à être nommé sur les sept que compte actuellement la Finlande : « Il n’y a pas eu avant moi de médiateur en accessibilité à Turku, explique-t-il. La plupart des sept ombudsmen en accessibilité ne sont pas handicapés, mais il n’est pas revendiqué qu’ils le soient. »

Bien qu’ayant pris sa retraite, Heikki O Haulisto continue à travailler à plein temps à Turku et dans les communes voisines. Il agit au sein d’associations de personnes handicapées, tout en profitant des joies d’être grand-père et de son hobby préféré : la cuisine. Il est d’ailleurs très fier d’avoir été fait chevalier de la Confrérie de la chaîne des rôtisseurs de Finlande ! L’évolution de l’autonomie d’Heikki O Haulisto l’a toutefois conduit à se déplacer en fauteuil roulant depuis plus d’une dizaine d’années. Ses missions de médiateur spécialisé sont étendues, ce qui en fait, en quelque sorte, le chef d’orchestre de l’accessibilité à Turku, dont le programme d’accessibilité a été élaboré avec la Threshold Association. La ville a d’ailleurs été finaliste en 2011 du premier prix européen des villes accessibles. Heikki O Haulisto informe, effectue des recherches, produit des documents généralistes et techniques pour traiter les situations d’inaccessibilité, éliminer les obstacles. Il réalise des sessions de sensibilisation et de formation, entretient le dialogue entre professionnels de la construction, services municipaux et usagers. Il assure également la promotion de la réalisation de techniques d’accessibilité, et d’amélioration de leur emploi dans l’urbanisme, la construction et l’entretien des espaces publics. Il élabore un processus d’intégration de l’accessibilité dans tous les domaines de l’administration de la ville pour en faire une action naturelle, qui aille de soi.

Bien évidemment, l’ensemble de ce travail s’appuie sur un réseau régional et national de promotion de l’accessibilité : « Au début, j’effectuais ce travail à titre personnel, précise Heikki O Haulisto. Depuis, la municipalité a décidé que cette fonction serait officielle. Elle vient d’étendre ce service aux communes voisines pour en faire un service régional d’accessibilité. C’est la première tentative de régionaliser ce type de service en Finlande. »

Pionnier à sa manière, Heikki O Haulisto porte un regard lucide sur sa situation : « Je ne connais pas tout ce qui concerne le quotidien des personnes handicapées en Europe. Mais à mon avis, la situation du handicap et l’intégration en Finlande sont globalement acceptables. Par exemple, je dispose d’un assistant personnel durant 8 heures par jour, 18 déplacements en taxi adapté sont pris en charge chaque mois ainsi que 30 heures d’aide humaine. Bien sûr, mon épouse m’aide également. En fait, je pense que ma vie est aussi normale que d’autres. »

Toutefois, il estime que des progrès restent à accomplir dans son pays : « L’intégration des personnes handicapées est bonne tant qu’il s’agit de sortir de chez soi pour participer à la vie quotidienne et sociale. Mais pour avoir un travail décent, c’est bien plus difficile. L’amélioration de la situation des personnes handicapées en Finlande est de la responsabilité de l’État, qui doit poursuivre et achever l’application de la législation. En travaillant ensemble dans l’Union Européenne, nous avons pu atteindre un niveau de vie convenable pour toutes les personnes handicapées en France, en Finlande et dans tous les pays européens. L’égalité des droits pour les personnes handicapées est un projet plein d’espoir. Pourtant, nous devons rester attentifs et agir de sorte qu’elle soit réalisée de la meilleure façon possible, pas avec le niveau minimal que nous connaissons. »

Est-ce dû à son goût pour la bonne chère ? Heikki O Haulisto est francophile : « Personnellement, j’aime la France. Dans son histoire glorieuse, la France a été un phare à bien des égards, de nombreuses fois. Maintenant il est temps pour toutes les personnes handicapées en Europe de rejoindre la belle devise: Liberté, Égalité, Fraternité ! »


Propos recueillis par Laurent Lejard, janvier 2012.

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