Agé de 32 ans, Pierre Deniziot est neuropsychologue en hôpitaux gériatriques. Il a été élu en mars 2008 au Conseil Municipal de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), délégué au handicap, à la dépendance et à l’accessibilité. Militant de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP), il a cofondé avec Frédéric Bouscarle son mouvement handicap, Handipop. Pierre Deniziot mène une vie très active limitée par les séquelles d’une pseudo achondroplasie, forme de nanisme qui entraine de sévères problèmes articulaires handicapants.
Question : Comment conjuguez-vous votre activité professionnelle avec votre mandat politique ?
Pierre Deniziot : Je consacre les trois quarts de mon temps à mon travail, avec mes patients, je travaille un peu chez moi. Le reste du temps, les vendredis, les soirs, les week-ends, je suis à la mairie, et participe à différentes manifestations.
Question : Qu’est-ce qui vous a conduit à vous engager dans la vie politique, à Boulogne-Billancourt ?
Pierre Deniziot : L’amour de ma ville. Né à Vichy, je suis venu à Boulogne pour me spécialiser dans les neurosciences à l’Université Paris V. Je me suis attaché très vite à la ville et j’ai eu envie de participer à sa vie citoyenne. C’était également au moment de la création de l’UMP, qui est ma famille politique.
Question : Comment vivez-vous le handicap dans la vie quotidienne et l’action politique ?
Pierre Deniziot : Mes situations de handicap sont relativement limitées dans la vie quotidienne, puisque je peux conduire, je travaille, j’ai un logement et des conditions qui me font subvenir à ma famille. Mes limitations concernent surtout la marche et la station debout, à cause des douleurs articulaires, mais quand je peux, je fais, sans demander une chaise même s’il faut rester longtemps debout. Par exemple, quand j’assiste aux célébrations du 11 novembre qui vont durer toute la matinée avec dépôts de gerbes, je sais que le lendemain je ne serai pas bien du tout… Ce qui est difficile à gérer avec mon handicap, c’est qu’il est très irrégulier, avec des jours où je vais courir comme un lapin et d’autres où je reste à la maison parce que je ne tiens plus debout.
Question : Dans la vie politique, on parle souvent de « grandeur ». Est-ce que l’on peut s’exprimer sur la « grandeur » de Boulogne dans la position qui est la vôtre ?
Pierre Deniziot : Il est déjà arrivé à des personnes plus ou moins bien intentionnées de me dire « de toutes façons tu te feras élire sur des scrutins de liste, parce que tu représentes quelque chose, mais jamais sur ton nom. T’as pas la tête du job. Te faire élire conseiller général ou parlementaire avec ta taille, franchement ça va être compliqué… » J’ai envie de leur montrer que c’est envisageable. Etre différent, en politique, c’est aussi un avantage, en tous cas il faut le prendre comme ça: une fois que l’on m’a vu, on va se rappeler de moi, me dire « je vous ai vu au congrès de l’UMP » ou dans le journal municipal, c’est l’occasion d’engager la conversation, d’échanger.
Question : Aux législatives 2012, deux députés handicapés ont été élus au scrutin uninominal…
Pierre Deniziot : C’est une évolution, on va aller vers une meilleure représentativité des personnes handicapées en politique. Avec a minima 10% de la population concernée par le handicap, on va aller vers ce mouvement naturel. Mais le monde politique ne va pas ouvrir grandes les portes, il va falloir les pousser…
Ces députés sont des pionniers, ils montrent l’exemple, et il faut prendre conscience quand on fait de la politique que c’est jouable, qu’on peut s’impliquer, parler en public, être élu. On aura vraiment réussi quand il y aura une personne handicapée à la tête d’un grand ministère, c’est le même combat que pour les femmes, les enfants d’immigrés, qui ont maintenant accès à ces responsabilités.
Question : Pourtant, vous êtes à Boulogne conseiller municipal au handicap, avec le risque d’être « le handicapé de service »…
Pierre Deniziot : C’est une vraie question. Quand j’ai été élu, je ne connaissais rien à la vie d’une mairie. Qu’est-ce que je pouvais apporter comme compétences ? Hormis la neuropsychologie, le fonctionnement du cerveau, mes compétences sur le handicap étaient empiriques, le sujet me passionnait. Ça ne m’a pas dérangé pendant la campagne électorale d’élaborer le projet municipal avec une soixantaine de propositions, puis de devenir conseiller municipal au handicap. Mon maire [l’UMP Pierre-Christophe Baguet NDLR] est tout à fait conscient de cela, il n’a pas envie que je sois le « handicapé de service » et il me dit « dis-toi bien que tu ne feras pas du handicap pendant toute ta vie politique. » S’occuper du handicap est une formidable école, parce que l’action est transversale et à Boulogne ce n’est pas galvaudé, on bosse avec tous les collègues, la voirie, la culture, l’école, les sports, etc. On apprend beaucoup, sur tout et très vite. Maintenant, je me sens à l’aise dans d’autres domaines que le handicap, pour représenter le Maire dans un conseil d’école ou d’administration d’une maison de retraite.
Question : Vous avez cofondé Handipop lors de la campagne pour les élections présidentielles de 2007. Pourquoi avoir créé ce mouvement au sein de l’UMP ?
Pierre Deniziot : Je l’ai cofondé avec Frédéric Bouscarle, parce qu’on avait envie de parler du handicap dans cette campagne. On avait cette chance de pouvoir la vivre, d’être souvent au QG, on s’est dit « tiens, le handicap va encore être zappé des sujets dont on va parler. » On a créé un groupe pour traiter des thématiques du handicap.
Question : Mais six ans après, vous créez un groupe dissident, Handipop-le-off…
Pierre Deniziot : Ce n’est pas une situation agréable. Si on veut être forts, il vaut mieux être unis. Malheureusement, à l’image de ce qui peut se passer à la tête de l’UMP, je ne me suis plus reconnu dans le mouvement Handipop. Il avait été crée sur trois axiomes : encourager les personnes handicapées à s’investir et à travailler sur leur représentativité en politique, sensibiliser les parlementaires, les cadres et les militants de notre parti sur le handicap, être un laboratoire d’idées novatrices. Au fil du temps, il n’est plus resté que le premier, qui s’est rétréci à promouvoir quelques personnes à des postes. Là, je ne pouvais plus me reconnaitre dans le mouvement : on peut tous avoir des ambitions, mais il faut travailler, en opposition constructive à la gauche, sur des idées nouvelles, sur la sensibilisation, pas seulement pour la réussite de quelques-uns. Il y a tellement de choses à faire : chaque vendredi, je reçois les personnes handicapées qui demandent un logement, du travail, les parents dont les enfants ont des difficultés à être scolarisés. Ce sont les questions sur lesquelles il faut travailler, pas être une vitrine pour dix handicapés à l’UMP.
Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2013.