Le combat dans lequel s’engage Matthieu Annereau n’est pas des plus simples : ravir à la gauche lors des élections municipales de mars 2014 l’un de ses bastions les plus symboliques, Saint-Herblain (Loire-Atlantique) dont l’actuel député et ancien maire (1977-1989) n’est autre que l’actuel Premier ministre Jean-Marc Ayrault, et devenir le premier maire aveugle d’une ville de plus de 30.000 habitants ! Cet employé de banque âgé de 35 ans y réside depuis neuf ans, avec sa femme et ses trois enfants. Il est devenu progressivement aveugle du fait d’une rétinite pigmentaire, un long processus qu’il a eu des difficultés à accepter : « J’ai effectué un parcours scolaire ordinaire, jusqu’aux classes de 4e et de 3e que j’ai suivies à l’institut spécialisé pour jeunes déficients visuels Montéclair d’Angers (Maine-et-Loire). Dans cet établissement, j’étais celui qui voyait le mieux, j’aidais les autres. » Matthieu Annereau est revenu dans le cursus ordinaire, au lycée puis à l’université, sans demander un aménagement particulier ce qui l’a conduit à interrompre prématurément ses études universitaires. Il a alors créé une entreprise de vente par correspondance puis à domicile, mais là encore son handicap l’a rattrapé : « Ma vue a encore baissé, j’ai dû arrêter. En 2006, j’ai séjourné au Centre de Rééducation Fonctionnelle pour Aveugles ou Malvoyants de Marly-le-Roi. C’est là que j’ai pris conscience de ma cécité, on m’y a fait toucher une canne blanche pour la première fois. C’était le début de l’acceptation pour faire les choses autrement, grâce à des outils numériques, et un chien guide. Cette acceptation du handicap a été longue, parce que les médecins n’avaient pas posé un diagnostic définitif, invoquant le caractère temporaire d’une maladie dont les séquelles pouvaient être en partie résorbées par de la rééducation. »

Ces péripéties ont forgé chez Matthieu Annereau une approche particulière de la place des personnes aveugles dans la société : « Je me bats pour que l’on ne soit pas hors normes, mais dans la norme à part entière. Je me suis rendu compte que l’on ne pourrait rien faire en dehors de l’action politique, il n’y a pas assez de résultats avec l’action associative. J’ai une sensibilité de droite, membre du RPR puis de l’UMP, j’ai donc rencontré Handipop [Mouvement des personnes handicapées au sein de l’UMP NDLR] et j’en suis devenu délégué régional en mars 2013. En parallèle, j’ai conduit un engagement local sur la vie de la cité, et me suis porté candidat à l’investiture pour les élections municipales de mars 2014. Les instances nationales de l’UMP m’ont investi en septembre, et je deviens donc le premier candidat non-voyant à conduire une liste dans une ville de plus de 30 000 habitants. »

Décrit ainsi, le parcours de Matthieu Annereau semble limpide, mais la réalité est différente : « Cela soulève beaucoup d’interrogations de la part de la population, des décideurs, des acteurs économiques. Alors que je travaille avec les techniques numériques, comme tout un chacun. Pour les personnes déficientes visuelles, la synthèse vocale a été une avancée extraordinaire, et des logiciels me permettent d’avoir accès à l’information. » Par son action et sa présence, il espère rendre plus visible les personnes handicapées : « La politique m’intéresse, la représentativité des personnes handicapées est importante. Je veux montrer que je peux faire le travail. Il y a beaucoup de barrières à lever, ma démarche pose des questions pour faire différemment en s’organisant ou en changeant les choses. Et je trouve que le secteur public est en retard sur ce point, par rapport au secteur privé qui a une responsabilité sociale et environnementale. »

Matthieu Annereau doit adapter le travail militant et pallier son absence de vision par une plus grande attention aux autres : « Je ne vois pas le regard des gens, alors que le visuel est très important. Avec mes compagnons, on se place dans des endroits très passants, ils orientent les gens vers moi. Il y a des choses qui ne trompent pas : quand on perd une faculté, on en développe d’autres, en percevant la concentration d’un interlocuteur, le rythme de sa respiration qui indique s’il est énervé ou attentif. Je travaille mes discours pour m’en imprégner, en conservant une part de spontanéité, pour privilégier les échanges avec les gens. La cécité ne change pas la relation avec ceux qui ont une autre opinion. Mais pour les sujets du quotidien, j’ai une écoute et une empathie. »

Des qualités qui ne convainquent pas tout le monde, notamment dans son propre parti politique : un conseiller municipal sortant s’est ainsi répandu en propos désobligeants, estimant qu’un aveugle n’était pas le mieux placé pour défendre les chances de l’UMP aux élections municipales. Des attaques que Matthieu Annereau n’a pas acceptées, au risque d’une rupture et d’une dissidence : « Je suis suivi et aidé par les militants de droite et des citoyens. Dans un fief de gauche, je représente une droite humaniste, pragmatique, pour apporter des solutions au quotidien, sur le terrain. J’aborde tous les sujets sans tabou, sans rejeter les bonnes réalisations. On m’attaque sur la cécité, alors que moi, je dis ‘chiche’ ! »


Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2013.

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