Cendrina Duval étudiait dans un lycée agricole lorsqu’elle est devenue aveugle du fait d’une dégénérescence du nerf optique. Et c’est uniquement à l’oral qu’elle a obtenu le Diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU). Ce qui ne lui a pas permis de travailler, du fait de sa cécité et des refus systématiques des employeurs qu’elle a contactés. Son premier emploi stable, elle le doit à son chien guide, Expert, qui lui a été remis il y a quatre ans : elle a alors été remarquée par le Centre des chiens-guides Aliénor qui l’a embauchée pour faire de la sensibilisation à la cécité et la malvoyance, notamment dans les établissements scolaires. Depuis, elle parcourt la France en tous sens.

C’est cet engagement qui a été remarqué dans sa ville de Charleville-Mézières (Ardennes): « Le candidat tête de liste de l’UMP m’a rencontré puis m’a proposé d’être candidate. Moi, je n’ai pas d’étiquette politique. J’ai réfléchi à ce que voulait dire être candidate dans leur groupe, comment je pouvais être intégrée, j’ai rejoins la liste assez tard, en février. » Elle a participé à la fin de la campagne électorale de mars 2014, en rendant le programme accessible aux citoyens déficients visuels par sa diffusion audio sur le Web et les réseaux sociaux, et lors des présentations de liste. Le credo de Cendrina Duval : « La ville doit être accessible dans l’ensemble de ce qu’elle est : voirie, services, culture. Il faut voir la personne avant le handicap. Je me suis dit que ça pourrait avoir un impact sur l’emploi des personnes handicapées. D’ailleurs, avec les agents municipaux je fonctionne sur mon expérience, par exemple pour vérifier les feux sonores. » Leur recensement est en cours, Cendrina Duval estime que la moitié des feux tricolores du centre-ville sont sonorisés, et peu en dehors. Elle espère parvenir à créer un « cheminement réel » accessible dans la ville.

Parmi les autres réalisations sur lesquelles elle travaille figure l’amélioration de l’accessibilité aux visiteurs déficients visuels du musée de l’Ardenne : « L’accès doit être possible en parfaite autonomie. La ville travaille en partenariat avec le lycée François Bazin qui va créer des fac-similés de quelques oeuvres. On effectue un état des lieux du musée pour connaître les difficultés de déplacement, intégrer un guidage au sol, installer des bandes d’éveil de vigilance dans les escaliers, revoir les mains courantes. L’objectif est de rendre le musée interactif, avec des bornes sonores à déclenchement par télécommande. Les cartels et textes de présentation seraient consultables sur une tablette équipée de la synthèse vocale Voice Over. » Cette réalisation serait dupliquée sur le musée Arthur Rimbaud, en cours de travaux de rénovation et de mise en accessibilité pour les visiteurs handicapés moteurs, et qui devrait rouvrir au mois de juin prochain.

Depuis le début de son mandat, la méthode de travail du Conseil Municipal a changé : « J’ai demandé que tous les documents me soient adressés par courrier électronique. Maintenant, tous les conseillers les reçoivent ainsi. Je fais tout par ordinateur, en demandant des explications pour les documents inaccessibles, comme les schémas, les plans, les graphiques. Le souci que je rencontre, c’est quand les documents sont distribués sur table, ce qui heureusement est assez rare. » Dans ce cas, elle se fait aider, notamment par une autre conseillère municipale.

Au quotidien, Cendrina Duval rencontre toutes les difficultés des personnes aveugles qui mènent une vie faite de nombreux déplacements : « Avec le chien guide, le problème le plus important ce sont les taxis, c’est récurrent. C’est incroyable le nombre de chauffeurs allergiques aux poils de chiens ! Et ça peut aller jusqu’aux insultes. » Si elle a rencontré peu de problèmes pour entrer dans les hôpitaux, elle s’est quelquefois retrouvée fermement invitée à demeurer sur la terrasse d’un restaurant plutôt qu’à l’intérieur, même si la température était fraîche. Pour voyager en avion ce n’est guère mieux, et les difficultés qu’elle rencontre l’obligent à la résignation face à l’inertie des pouvoirs publics : « Moi, je bouge beaucoup. Certaines compagnies ne veulent pas accepter le chien-guide, malgré la réglementation européenne. Lors d’un refus, les personnes déficientes visuelles ne cherchent pas à comprendre et se reportent sur une autre compagnie. On ne peut pas passer sa vie à porter plainte. » Elle a constaté que la police rechigne à intervenir quand elle est appelée pour ce genre de discrimination. Dans sa ville de Charleville-Mézières, c’est en invoquant sa qualité de conseillère municipale qu’elle arrive parfois à faire intervenir les policiers pour sanctionner un automobiliste dont le véhicule garé sur le trottoir empêche le passage des piétons et met en danger la vie de l’aveugle qu’elle est puisqu’il lui faut marcher sur la chaussée.

Son engagement politique a suscité des réactions contrastées : « Quand j’étais candidate, j’ai entendu quelques réflexions du genre ‘ça fait bien sur une liste, ça te fait rien de servir de vitrine ?’. Mais j’ai aussi entendu des remarques inverses, d’encouragement, ‘peut-être que ça va changer les choses. » C’est bien ce qu’elle espère.

Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2015.

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