Question : Comment êtes-vous parvenu à devenir Conseiller Départemental alors qu’on dit toujours que les candidats handicapés, face aux électeurs, ne sont pas élus ?
André Montané : D’une part, je me suis investi pour les personnes en situation de handicap parce que je le suis moi-même. Donc il y avait déjà un intérêt pour la reconnaissance et la citoyenneté de la personne en situation de handicap. Puis également parce qu’il fallait qu’une personne en situation de handicap puisse être maître d’ouvrage dans cette insertion sociale qui les concerne directement. Et puis pour faire connaître aussi le témoignage d’un vécu, arriver à joindre la théorie et le vécu, parce que si je théorise en ne mettant pas le doigt sur certains concepts, je ne pense pas qu’on pourrait avancer. Voilà, j’y suis arrivé, je suis un élu. Je suis parti du milieu associatif et progressivement je me suis rapproché de la sphère politique. J’ai compris qu’il y avait là un idéal à défendre, et puis aussi des personnes, des institutions qui avaient des pouvoirs de décision et que l’on pouvait faire avancer la cause.
Question : Vous avez fait une carrière professionnelle dans l’enseignement, malgré la poliomyélite qui vous a touché dans l’enfance et vous fait perdre de l’autonomie.
André Montané : On va dire un accroissement des déficiences, on arrive à compenser au niveau de l’autonomie, avec de l’accompagnement. La polio est une maladie qui, au-delà des séquelles, reste évolutive. Une personne en vieillissant perd certaines capacités, chez les polios c’est pareil. Nous avons des muscles ordinaires qui ont été atteints et ont récupéré, mais avec le temps ils ont gardé la mémoire, on perd un peu de capacité de vivre comme avant. L’autonomie, il faut se battre pour la sauvegarder et c’est l’un des combats importants. D’ailleurs, c’est l’esprit de la loi de février 2005 pour la citoyenneté et la participation des personnes en situation de handicap.
Question : Vous avez reçu une éducation en milieu ordinaire?
André Montané : J’ai eu cette chance, en vivant à Fleurance dans le Gers. Mes parents m’ont aidé, sans me surprotéger, ils m’ont laissé prendre des risques. J’étais inséré parmi les autres. A Fleurance, il y avait un cours complémentaire, ce n’était encore le collège, je ne suis plus très jeune, je suis né en 1939. J’ai fait toute ma scolarité, jusqu’à l’université dans le circuit ordinaire et avec l’acceptation tant par les professeurs que par mes copains de ma déficience. Je me souviens qu’un jour, en marchant avec un copain, il me disait « Tu sais André, la déficience, on ne la voit plus ». Après la fac, j’ai enseigné dans l’Oise, au sein d’établissements spécialisés.
Question : L’administration de l’Éducation Nationale ne vous a pas fait quelques misères?
André Montané : Aucune. J’ai passé une visite médicale, le médecin a vu que je claudiquais mais que je pouvais marcher, que j’avais une certaine autonomie. Et puis j’ai suffisamment de caractère pour dire que si on m’avait fait des misères, j’aurais répondu !
Question : C’est parce que vous étiez enseignant, et pas instituteur ?
André Montané : J’étais enseignant, mais avant de l’être, j’étais élève. J’ai eu cette chance d’un parcours en milieu ordinaire. J’ai des collègues qui n’ont pas eu cette chance, notamment l’un d’entre eux qui dirige un centre de formation, qui est en fauteuil roulant, sportif, médaillé olympique en tennis de table; quand il est arrivé au collège, on lui a dit « non, on ne peut pas vous prendre ».
Question : Quand vous regardez votre parcours, vous considérez que le handicap est mieux accepté en milieu rural qu’en milieu urbain ?
André Montané : Je pense qu’on ne peut pas comparer la situation d’aujourd’hui avec mon vécu des années d’après-guerre, ce n’était pas du tout la même vision du handicap, les choses ont évolué. Avant, quand les personnes en situation de handicap n’avaient pas la chance de vivre en milieu rural, elles n’étaient pas insérées dans la société. On ne parlait pas de solidarité, d’accompagnement, de citoyenneté, c’était « cet enfant-là, le pauvre », l’handicapé, l’infirme, la condescendance. Tandis que maintenant, même s’il y a encore un petit regard qu’il faut changer, il y a une autre approche de la personne en situation de handicap. Elle n’est plus cachée, elle vit dans la société et la preuve, surtout depuis la loi de février 2005, c’est l’inclusion scolaire, l’obligation scolaire étendue aux enfants handicapés.
Question : Est-ce que vous pensez que la sensibilité au handicap est plutôt partisane, ou partagée par l’ensemble des partis politiques ?
André Montané : Je pense qu’elle est plutôt partagée, et liée à la volonté et à l’engagement politique au niveau du social de nos dirigeants. Vous savez que la loi de 2005 a été votée alors que Jacques Chirac était Président de la République, sous un gouvernement de droite.
Question : Une loi contre laquelle les parlementaires de gauche ont voté…
André Montané : Bien sûr. Mais il n’empêche que cette loi de 2005 a repris force et vigueur et dynamisme avec François Hollande qui a fait du handicap son engagement 32, notamment pour l’accès à l’emploi en disant « Je souhaite qu’à la fin de mon mandat, toutes les entreprises publiques comme privées arrivent à 6% d’emploi de travailleurs handicapés ». Il y a cette volonté de mettre en place aussi le Comité Interministériel du Handicap. Moi je pense que cela fonctionne à la sensibilité des personnes.
Question : L’emploi des travailleurs handicapés a progressé dans le secteur public mais stagne dans le privé, est-ce que le candidat Hollande devenu Président de la République pourra respecter son engagement du respect des 6% au terme de son mandat ?
André Montané : Je pense que c’est en oeuvrant avec le ministère chargé du Travail et de l’emploi, avec le secrétariat d’État chargé des Personnes handicapées. Bien sûr, le levier est plus facile au niveau du FIPHFP et de l’emploi public. Il est vrai que le contexte n’est pas le même entre secteur public et privé, mais il y a aussi des volontés.
Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2015.
PS : André Montané a quitté la vie politique en septembre 2019.