Question : Qu’est-ce qui vous a conduite à vous engager à la France insoumise (LFI)?
Marie-Laure Darrigade : J’étais déjà engagée depuis 2008 au Parti de Gauche. Je suis une ancienne du Parti Socialiste que j’ai quitté en 2008, j’étais fortement en désaccord avec sa ligne politique. Je me retrouvais dans les motions et les contributions de Jean-Luc Mélenchon. À cette époque, j’étais sur Lille et j’avais adhéré à PRS, Pour la République Sociale. Quand on a vu la tournure que prenait ce fameux congrès du Parti Socialiste, on a créé le Parti de Gauche à Lille. C’est donc une continuité de mon engagement depuis que je suis entrée à la fac à l’âge de 17 ans en 1993. J’ai débuté dans le syndicalisme étudiant, dans une UNEF ID très particulière à Amiens, puisqu’en fait elle était tenue par les Jeunesses Communistes Révolutionnaires (JCR) et je me sentais tellement bien dedans ! [rires]
Question : C’était après la période de présidence de Jean-Christophe Cambadélis mais en plein scandale de la MNEF [affaire politico-financière impliquant, dans les années 1990, des personnalités socialistes] ?
Marie-Laure Darrigade : C’est ça ! Du coup, j’ai contribué à ce que la JCR conserve la majorité sur l’UNEF ID d’Amiens. J’étais moi-même au Parti Socialiste, je ne suis pas à une contradiction près !
Question : Quel a été votre parcours personnel et professionnel jusqu’à « l’entrée » en sclérose en plaques ?
Marie-Laure Darrigade : Je suis éducatrice spécialisée depuis juin 1999. J’ai commencé à travailler en protection de l’enfance, et je me suis très vite orientée vers tout ce qui touchait à l’exclusion, travaillé avec des personnes sans domicile fixe, accès aux soins, aux droits, au logement. J’ai aussi beaucoup déménagé pour suivre mon mari sur Amiens, Toulouse puis Lille et maintenant l’Oise. Puis je suis revenue à mes premières amours, la protection de l’enfance, où on a pas mal « morflé » parce que sur Lille, c’était assez chaud. J’ai eu un grave accident avec une triple fracture du bassin, j’étais à cette époque coordinatrice insertion et j’ai vécu le douloureux passage du RMI au RSA… Et mon mari a été muté à Senlis, puis Paris, on a déménagé dans l’Oise, j’ai travaillé à la maison des adolescents pendant quatre ans. J’ai passé mon concours de conseiller socio-éducatif, j’attendais la réponse quand j’ai eu ma première poussée de sclérose en plaques. C’était il y a cinq ans. La moitié du corps engourdi, des fourmillements, surdité de l’oreille gauche. Il y un terrain favorable à la sclérose en plaques dans ma famille, j’y ai tout de suite pensé. J’ai pris rendez-vous à la Salpêtrière à Paris en octobre, en décembre on m’a répondu qu’on ne voyait rien sur les IRM, j’ai démarré mon poste de chef de service en serrant les dents parce que acouphènes, douleurs neurologiques… Ça a duré jusqu’à l’attentat de Charlie Hebdo, en janvier 2015. Je connaissais Charb, ça m’a fait un gros choc, et je me suis réveillée un matin, aveugle de l’oeil droit… On a fait des examens à l’hôpital de Creil (Oise), les choses se sont mises en place « tranquillement », je peux le dire avec le recul.
Question : Vous travaillez toujours à temps-plein ?
Marie-Laure Darrigade : Toujours. C’est un souhait de travailler le plus possible et à temps-plein. Il y a des fois où j’y vais en serrant les dents, certains matins il faudrait un treuil pour me lever. J’ai la chance d’être bien suivie et sous Tysabri depuis deux ans, parce qu’au début j’avais une poussée tous les six mois, assez costaudes avec troubles de la marche et de l’équilibre. J’avais quasiment perdu l’usage de la main gauche, et avec ce médicament j’ai retrouvé des sensations et récupéré l’usage de ma main et au niveau de l’équilibre. J’utilise une canne, j’en ai cinq assorties à mes tenues. Certains jours j’arrive à m’en passer.
Question : Vous êtes donc entrée dans la vaste population des personnes à mobilité réduite ?
Marie-Laure Darrigade : Faire les courses sans canne, porter des objets lourds, ça m’est impossible. Je connaissais déjà la mobilité réduite, en « goûtant » au fauteuil roulant après ma triple fracture du bassin, et je viens d’une famille sensibilisée au handicap. Mon grand-père maternel était aveugle et malentendant, mon grand-père paternel que je n’ai pas connu avait la sclérose en plaques, j’ai grandi dans les banquets de l’APF ! Ma famille est plutôt croyante, avec une tradition de pèlerinage à Lourdes. La première fois, je devais être dans le ventre de ma mère, la deuxième j’avais six mois, puis tous les ans derrière ! J’ai toujours vu au quotidien des personnes en situation de handicap, et je me rappelle m’être énervée contre une gamine en disant « mais non, ton grand-père c’est pas un vrai grand-père, il n’a pas de canne blanche ! »
Question : Quel impact cela a-t-il eu sur votre engagement politique ?
Marie-Laure Darrigade : Le handicap et la façon dont est traité ce sujet en France m’a toujours révoltée. Quand j’ai adhéré au Parti de Gauche, j’ai d’abord été secrétaire départementale puis au bureau national et au secrétariat national, j’ai pris en charge les questions de santé et l’enfance. Il y a six ans, j’ai été mise en lien avec la lanceuse d’alerte Céline Boussié, l’affaire des enfants de Moussaron, et du coup j’ai pris la thématique handicap. Je me suis dit « il faut que ça bouge ».
Question : Vous figurez sur la liste des candidats France Insoumise au Parlement Européen, mais pas en position éligible…
Marie-Laure Darrigade : Je suis 17e femme, et donc en position 34 ou 35. Je suis aussi élue d’opposition dans ma commune, Agnetz (Oise), depuis 2014, c’est mon premier mandat.
Question : Vous serez la seule candidate handicapée pour la France Insoumise à l’élection européenne ?
Marie-Laure Darrigade : Une campagne électorale n’est pas de tout repos, j’en ai fait plusieurs. Celle des dernières élections législatives, les régionales, les précédentes européennes où j’étais sur la liste nord-est. A l’époque j’avais fait des meetings de Dunkerque au Mont-Saint-Michel, Ô joie ! Je ne sais pas si je suis la seule personne en situation de handicap sur la liste France Insoumise, je ne le mentionne d’ailleurs pas. Je suis « étiquetée » éducatrice spécialisée et militante pour les droits des personnes en situation de handicap.
Question : Europe et handicap, c’est un sujet ?
Marie-Laure Darrigade : Bien sûr ! Le constat en Europe est que toutes les personnes en situation de handicap vivent de façon très précaire, je dirais qu’il n’y a pas vraiment de bons élèves même s’il y en a qui s’en sortent mieux que d’autres. La grande majorité des personnes en situation de handicap vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les droits, je parle de la Convention ONU handicap, cette espèce d’Arlésienne qu’on agite, qu’on signe et pourtant qu’on viole tous les jours, n’est absolument pas respectée. C’est l’accès au logement, au travail, comme cela ne vient pas au niveau de la France, je me dis qu’il y a peut-être des choses qui peuvent bouger par l’Europe, c’est un endroit où il faut qu’on se batte.
Question : Mais qu’est-ce qui pourrait bouger, parce qu’en matière sociale, l’Europe…
Marie-Laure Darrigade : Je parle d’abord des droits humains, d’agiter et être lanceur d’alerte. Ce qu’on voit très bien au niveau du Parlement Européen. On sait qu’à 17 députés français on ne peut pas inverser la vapeur, mais qu’avec un petit groupe de têtes dures, on peut infléchir et alerter. Et justement alerter sur cette casse sociale au niveau européen puisqu’on est dans une logique d’austérité budgétaire qui touche les personnes les plus précarisées, vulnérées : elles ne sont pas vulnérables, c’est la société qui les vulnère.
Question : Quels sont les alliés de France Insoumise en Europe ?
Marie-Laure Darrigade : On a des alliés naturels, Podemos en Espagne, les amis portugais. On est en train de cheminer au niveau de l’Irlande, du Benelux, l’idée est de présenter un large front insoumis et un groupe constitué qui ne se rallie pas au dernier moment aux politiques actuellement menées en Europe.
Question : Qu’en est-il avec les pays d’Europe centrale et de l’Est, vous n’avez pas de partenaire ?
Marie-Laure Darrigade : C’est plus compliqué. Il y a des pays où tout est encore à faire au niveau du handicap. Mais les rencontres se multiplient.
Propos recueillis par Laurent Lejard, janvier 2019.