Le Rassemblement National est-il une formation politique comme les autres ? Cette éternelle question, Hervé Bedu, 48 ans, ne se l’est pas posée : il a pris au pied de la lettre l’injonction de la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel (« Les personnes handicapées sont certes électeurs mais sont éligibles alors pour les municipales engagez vous ») et a frappé à la porte des partis politiques espérant prendre la mairie de Lens (Pas-de-Calais). « Je me dis que je suis citoyen à part entière, et j’assiste aux conseils municipaux. Il est important de savoir ce qui se passe dans la ville, faire comprendre aux politiques qu’on existe. » Alors qu’il s’était contenté en 2014 de mener des actions de sensibilisation, il a décidé six ans plus tard de se présenter à l’élection municipale de mars 2020 et a contacté les politiques lensois. « J’ai démarché les partis pour leur demander ce qu’ils allaient faire pour les personnes handicapées, en intégrer sur leur liste en position éligible, pour qu’on puisse être représenté. J’ai discuté avec le maire socialiste sortant, Sylvain Robert [réélu au 1er tour en menant une liste d’union de la gauche NDLR], et son premier adjoint. ‘On en prend bonne note’ m’ont-ils dit, mais je n’ai pas senti qu’ils voulaient inclure une personne handicapée sur leur liste pour être utile, il y avait un ‘fauteuil’ en fin de liste. Dans les autres partis, Bruno Ducastel, sans étiquette [en fait ex-UMP puis ex-UDI NDLR] est venu me démarcher. Je lui ai demandé ce qu’il pensait, ‘oui ça m’intéresse’, mais je me suis retrouvé sur le côté : il fallait que je donne mes idées sur le handicap et la commune, mais m’inclure sur sa liste n’était pas l’objectif. On m’a appelé pour participer à un groupe de travail dans lequel on m’a dit ce que je devais faire, comme une marionnette. Il y a beaucoup de travail à faire pour être inclusif en politique, je n’ai pas senti qu’il voulait donner une place aux personnes handicapées. Chez Les Verts, candidature tardive, programme léger sur le handicap, ce n’était pas le but, aucune démarche pour me rencontrer et je n’ai pas eu de contact avec eux. Les Insoumis n’ont pas cherché à me contacter, ils ne se sont pas intéressés. Le Rassemblement National m’a dit être d’accord sur le handicap, qu’il y avait des choses à faire, on a mis un peu de revendications mais ça n’a pas été plus loin. »

Placé 7e de liste, Hervé Bedu aurait pu être élu s’il y avait eu un second tour mais il dit avoir eu peu de place dans la campagne électorale. « Il fallait me laisser la possibilité de réagir, de m’exprimer. En réfléchissant après l’élection sur ce qui s’est passé, je me demande si on m’aurait laissé m’exprimer sur le handicap, sans recevoir des consignes. Depuis l’élection, je suis un peu méfiant. Le principal c’est que j’ai fait passer le message. Le problème, c’est qu’on nous instrumentalise. »

La candidature d’Hervé Bedu n’a pas été de tout repos : « J’ai reçu des menaces de gens méchants, ‘en tant que personne handicapée vous n’avez pas lieu d’être sur une liste’, d’autres m’ont encouragé. Les menaces émanaient de gens plus à gauche, c’est allé loin sur Facebook, en écrivant qu’un handicapé n’avait pas lieu de siéger au conseil municipal [candidat tétraplégique à Rodez, Jean-Philippe Murat a vécu le même propos d’un autre candidat, et le conseiller sortant Emmanuel Cooche aurait été blackboulé à Millam (Nord) à cause de sa paraplégie NDLR]. En 2014 c’était pire, une femme avait été insultée, les campagnes électorales sont chaudes à Lens. Ici, une personne handicapée est forcément en établissement, elle n’a pas à avoir des loisirs, vivre dans la ville. Les mentalités commencent à changer, mais je ne pensais pas subir une discrimination à ce point. »

Hervé Bedu ne met pas ces attaques sur l’étiquette Rassemblement National qu’il a dû endosser pendant la campagne électorale : « Je n’ai pas ma carte au RN, je me suis présenté en tant que personne handicapée. Je ne suis pas d’accord avec ce dit le RN sur l’immigration. Ma démarche était de faire avancer le handicap, et des propositions sur ce qu’il fallait faire. Je n’étais pas d’accord à 100% avec ce qu’ils disent, mais j’ai rencontré à une personne de chez eux et j’ai dit ce que je pensais. » C’est sur le compte de mentalités locales rétrogrades qu’il met les remarques désagréables et discriminatoires qu’il a subies : « J’aurais été d’un autre parti, ça aurait été pareil, et dès qu’on commence à avoir des responsabilités, on se fait dire qu’une personne handicapée n’a pas l’état mental pour gérer une association. Du temps de l’APF [il en a été représentant local entre 2012 et 2014 NDLR], une adjointe me parlait tout doucement, comme si je ne comprenais rien. Ici, ils ont du mal à concevoir que les personnes puissent vivre comme les autres. Certaines personnes font de la discrimination, par méconnaissance des handicaps. De mon côté, j’ai fait de la sensibilisation dans les écoles, il y a du travail. »

C’est à la demande du président de l’Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP) qu’Hervé Bedu s’est lancé dans l’arène politique lensoise, au risque de faire le grand écart : l’APHPP soutient l’action du gouvernement Castex et la politique du Président de la République, Emmanuel Macron farouche opposant de la candidate d’extrême-droite du Rassemblement National, Marine Le Pen, en mai 2017. « L’APHPP ne soutient pas le gouvernement, conteste Hervé Bedu, on est d’accord sur certaines choses, pas sur d’autres. [Son président] Matthieu Annereau m’a dit que l’association n’était pas proche du gouvernement. » La récente tribune « 600 jours pour une France inclusive » qu’ont signée les dirigeants et délégués de cette organisation témoigne pourtant du contraire…

Comment Hervé Bedu sortira-t-il de ses contradictions ? « Je ne recommencerai pas avec ce parti [le Rassemblent national]. Je veux plutôt me concentrer sur les élections régionales, avec une charte. Le père Le Pen, je ne l’appréciais pas du tout, et la fille me semble partie dans le même truc. J’ai voulu faire passer le message, mais les partis lensois voulaient prendre mes idées et me mettre en fond de liste, puis au revoir. Je vais reprendre la sensibilisation des politiques, mais sans m’inclure. Je pensais créer un parti politique handicap dans la commune, j’en ai parlé à Matthieu Annereau. On n’est pas assez mis en avant, on est peu nombreux, il y a beaucoup à faire au niveau des partis. Pour les élections départementale et régionale, je serais présent avec une charte d’engagement pour présenter des idées et les défendre. Je suis allé jusqu’au bout de ce que je pouvais faire. » Il lui reste néanmoins ses engagements dans l’action humanitaire, en faveur des droits des personnes handicapées via l’association Handidefence qu’il a créée, et les personnes sans abri : « Etre utile dans cette société, c’est mon plus grand bonheur. »

Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2020.

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