La création du service d’accompagnement de l’Institut de Puériculture de Paris remonte aux années 1986, quand une puéricultrice de secteur nous a adressé Anne, une maman aveugle de naissance, et son nourrisson. Comment allions- nous pouvoir aider cette jeune mère, notre méconnaissance du handicap était totale ! Nous avons pris contact avec l’Association Valentin Haüy et notre interlocutrice, Claudette Saonit, conseillère en économie sociale et familiale, ravie de cette démarche, nous invita à rencontrer des parents. Chaque couple nous exposa sa propre histoire : désir d’enfant, vécu de la grossesse, naissance. Certains récits étaient poignants : en dehors de l’espace associatif, la solitude, l’incompréhension, sont des réalités que ces parents vivent au quotidien. Rien ne leur est épargné. Une jeune femme nous confie sa tristesse de voir associer sa cécité à une déficience intellectuelle. Isabelle vit mal la méconnaissance qu’ont les voyants de ses besoins, mais surtout de ses joies : « On peut être aveugle et heureux, notre handicap vous savez, on l’a apprivoisé depuis longtemps ». Chaba, très en colère, dit qu’elle ne supporte plus qu’en réponse à ses questions les vendeuses ou les hôtesses s’adressent aux personnes qui l’accompagnent: « Bon sang, je ne suis pas sourde, elles peuvent me parler ! ».

Après cette réunion, nous avons décidé de nous retrouver une fois par mois à l’Institut de Puériculture pour aborder différents thèmes, comme le développement psychomoteur de l’enfant, en notant l’importance du sourire adressé à l’enfant, du toucher, de la voix, de l’aménagement coloré de l’espace. Une aveugle est capable de « caresser » des yeux son enfant. Les mères soulignent bien cette notion de regard, lorsqu’elles disent comme Gisèle: « Ce que j’apprécie le plus ici, c’est qu’on me regarde »…

On compte en France environ 60.000 aveugles et un million de personnes malvoyantes; à partir de ces chiffres il est toujours impossible de déterminer le nombre d’adultes parents ou potentiellement susceptibles de le devenir. En créant ces rencontres, nous pensions principalement répondre à des questions pratiques. Pour ne pas faire à la place des parents, mais chercher ensemble la solution la mieux adaptée aux attentes de chacun, nous avons utilisé tous les supports possibles: textes retranscrits en braille, enregistrement audio de sujets tel que la prévention des accidents domestiques, interprétation verbale de vidéos, étalonnage de seringues, préparation d’étiquettes en braille, adaptation de jouets et d’imagiers afin que les parents participent directement aux différentes découvertes faites par l’enfant, présentation de la « bonne » et de la « mauvaise » layette afin d’éviter celle qui présente trop de lacets à manipuler pour préférer le velcro ou les boutons pressions, conseils d’aménagement de l’espace de change et de bain, démonstration de certains soins dans une sorte d’enveloppement à trois (le bébé, la maman et la puéricultrice). Il a fallu micro- analyser nos gestes pour mieux les décrire et les transmettre.

Elizabeth Meunier, surveillante du service, s’amuse de certaines anecdotes: « Il nous est arrivé d’avoir des situations inconcevables ailleurs. Imaginez dans la même chambre, et en même temps, les deux parents, le bébé… et deux labradors! ». Les équipes des unités néonatales adopteront la même qualité de relation. Ici, pas question de faire un signalement si par tâtonnement la tétine du biberon s’approche un peu trop de l’oeil ni de fustiger une mère qui touche avec ses doigts la tétine du biberon. Le service de diététique informe les mères sur les méthodes de stérilisation les mieux appropriées, le choix des biberons, des tétines, etc. Pour chaque mère ne désirant pas allaiter (ce qui est rare), nous sollicitons les laboratoires pour obtenir du lait liquide.

En recevant précocement les futures mères, le docteur Marie Anne Lepez, pédopsychiatre à l’I.P.P, les aide à mettre en mots toutes les inquiétudes issues d’un conflit en rapport avec le souhait « d’être une mère idéale », à gérer les affects pénibles évoqués par le souvenir d’une enfance dépendante, a résister au déversement des commentaires blessants, violents de la famille ou de l’entourage au sens large. Dans la majorité des cas, dès qu’une femme aveugle annonce à ses proches qu’elle est enceinte, elle s’expose à des commentaires dévalorisants: « Comment vas- tu faire? Tu n’y arriveras jamais! Et si tu transmettais ton handicap à ton enfant? Quand on est aveugle, pourquoi se compliquer encore la vie avec un enfant ? »… Certaines collègues, animées du même état d’esprit que nous, se sont montrées disponibles à l’écoute, n’hésitant pas à assurer les accompagnements des mères lorsque cela s’avérait nécessaire, à préparer le retour à la maison dans de bonnes conditions.

Le bain, moment de plaisir partagé par la mère et l’enfant, peut devenir un vrai cauchemar pour une mère aveugle. L’aménagement cohérent de la salle de bain et de la chambre doit se faire avant la naissance soit par notre équipe, soit par la puéricultrice de secteur.

La gêne du soignant est telle, face à la déficience visuelle, que l’emploi même des mots devient difficile. On ose rarement utiliser le qualificatif « aveugle », on parle de non- voyant, de personne atteinte de cécité, de handicap visuel total. Banaliser le handicap de ces mères n’est pas mon objectif parce qu’il rend quotidiennement leur vie beaucoup plus compliquée que la notre : le monde a été conçu pour des individus qui voient. Mais malgré tout, il me plait de les considérer comme des visionnaires, qui ont leur manière spécifique de regarder le monde et leur enfant et surtout d’enrichir ceux qui se donnent la peine de les regarder, de les écouter avec une attention toute particulière.

Edith Thoueille, puéricultrice, responsable de la Protection Maternelle et Infantile et des consultations spécialisées à l’Institut de Puériculture et de Périnatalogie de Paris.


Institut de Puériculture et de Périnatalogie, 26 boulevard Brune 75014 Paris. Tél: 01 40 44 39 03, Fax: 01 45 39 00 10, Web: www.perinat.org.

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Un commentaire sur “La maternité n’est pas aveugle !

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