Dès l’invasion de la France par les troupes allemandes, Lucie Aubrac fonda avec son mari, Raymond, le mouvement Libération Sud. 45 ans plus tard, elle est entrée brutalement dans la malvoyance lors d’un séjour à Jérusalem. Elle visitait un chantier de fouilles archéologiques, le soleil éblouissant et la poussière ont entraîné une hémorragie sous- rétinienne qui a noyé son oeil droit. L’oeil gauche a conservé 1/20e de vision. Depuis, Lucie Aubrac est accompagnée dès qu’elle sort de chez elle, son mari l’aide beaucoup. Son grand regret, ne plus pouvoir lire : « Même avec une loupe éclairante qui grossit huit fois je ne vois rien ».

Lucie Aubrac ne se considère pas comme handicapée : « Je me bagarre avec mon infirmité, ce que je vis est très gênant. Quand on a eu des activités dangereuses, on ne peut pas abdiquer. J’ai eu un rôle très important dans la Résistance, j’y ai acquis la solidarité, la lutte contre l’injustice. Je suis connue, les enseignants demandent mon témoignage. Un jour, j’ai fait un exposé devant un public d’aveugles, pour expliquer les raisons de mon engagement : je leur ai montré des documents qu’ils ne pouvaient pas voir »…

Lucie Aubrac s’est engagé auprès d’une association de femmes handicapées, Femmes pour le dire, Femmes pour agir, à la demande de sa fondatrice, Maudy Piot. « Mon engagement est individuel. Avant, je ne savais qu’il existait une association de femmes handicapées. Je côtoie habituellement des vieux, anciens résistants, heureux de se réunir régulièrement. La Fondation de la Résistance m’occupe beaucoup » (Lucie Aubrac en est Vice- Présidente d’Honneur). Professeur agrégée d’histoire, Lucie Aubrac apprécie beaucoup le contact avec la jeunesse: « Je fais des conférences dans les lycées et collèges, pour promouvoir une éducation civique et humaine des jeunes. Je parle de la démocratie, du caractère odieux du racisme, y compris le racisme anti- jeunes ».

« Mon handicap est léger par rapport à bien d’autres, je ne suis pas à plaindre. J’ai connu d’autres femmes handicapées, dont une amie revenue des camps de déportation allemands: le courage est là, comme il est chez celles qui ne peuvent se rendre où elles veulent ».

« Une personne en fauteuil roulant ne pourrait pas me rendre visite chez moi, l’immeuble n’est pas accessible ». Lucie Aubrac subit aussi l’accessibilité aléatoire, en parlant de ces portes qui se poussent et lui reviennent violemment dans le dos…

« J’invoque peu ma déficience visuelle, au risque de saluer deux ou trois fois la même personne. Ce qui m’embête vraiment, c’est la lecture, même si des associations fournissent des livres ou des revues en version sonore. Des amis m’enregistrent sur cassette audio des articles de presse ou de magazine qui m’intéressent. Je connais mon cadre de vie, la place de chaque chose. Dans les repas, je refuse de boire avec un verre à pied, pour éviter de l’envoyer valser par inadvertance. Il m’est arrivé d’acheter une boîte de maïs en pensant que c’étaient des petits pois… Je fais encore la cuisine, tout en ayant peur de me brûler les cheveux en allumant la gazinière. La famille sait m’assister gentiment, je déteste qu’on fasse une chose à ma place. Je n’écris plus mon courrier, mais je tiens à le signer. Je vis avec ce que j’ai, je suis heureuse. Raymond et moi avons une famille unie, avec de nombreux enfants et petits- enfants ».

Et chaque matin, Lucie Aubrac se lève en croyant voir clair : « c’est mon optimisme »…

Laurent Lejard, décembre 2003.

PS : Lucie Aubrac est décédée le 14 mars 2007.

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