Jusqu’à ces trois dernières années, Marianne Bleitrach a pu exercer sa profession d’avocate sans grande difficulté, malgré les séquelles d’une polio qui remonte à la prime enfance. Mais voilà qu’une fracture de la jambe atrophiée par la poliomyélite vient considérablement dégrader son autonomie, l’obligeant à se déplacer en fauteuil roulant, l’empêchant de gravir des escaliers et de marcher au- delà de quelques pas. Depuis, son métier est difficile à poursuivre : la plupart des tribunaux dans lesquels elle plaide habituellement sont inaccessibles à une personne en fauteuil roulant. « Il m’est arrivé de plaider sur le trottoir devant le Tribunal de Grande Instance de Lens, raconte Marianne Bleitrach. Magistrats, greffier, plaignant, défendeur, tout le monde a quitté la salle et l’audience s’est déroulée dans la rue ! ».
Avocate depuis 26 ans, Marianne Bleitrach est une figure du Barreau dans le Nord et le Pas de Calais. Par sa forte personnalité et son opiniâtreté. « Pour faire mon métier, c’est bien compliqué, je m’en doutais avant d’être en fauteuil roulant, ça s’est vérifié depuis. Quand je me rends à une audience, je me fais accompagner, je dois prévenir le personnel. Par exemple, après la plaidoirie dans la rue à Lens, une porte d’accès au tribunal a été aménagée mais sans sonnette d’appel; il faut que mon accompagnateur se rende à la conciergerie et me fasse ouvrir cette porte. Pour accéder à la Cour d’Assises de Saint- Omer, je dois être portée. C’est contre toute cette inaccessibilité que j’ai intenté une action contre le Ministère de la Justice. Deux fonctionnaires de ce ministère sont venus me voir, ils m’ont dit que la mise en accessibilité prendrait probablement 40 ans, je serais bien vieille alors ! »
Ses collègues la soutiennent dans une action qui ne peut que profiter à tous. « Les juges, ça leur casse les pieds quand il faut qu’ils changent de salle d’audience. L’administration voudrait réaliser les mises en accessibilité, mais elle est coincée par les budgets qui lui sont alloués. Des travaux devaient démarrer au tribunal de Lens mais les fonds ne sont pas débloqués ». Les problèmes se posent également lors des « transports de justice », à l’occasion d’une reconstitution par exemple. « Il arrive que le juge d’instruction et sa greffière portent mon fauteuil. Pour me rendre dans une prison rencontrer un de mes clients, je demande à être accompagnée, et les gardiens m’aident ».
Marianne Bleitrach estime que sa position assise ne la minore pas dans son activité professionnelle, elle ne ressent aucune différence avec la période durant laquelle elle plaidait debout. Elle attribue cela à sa forte personnalité. « Mais je ressens cette dévalorisation de la personne dans les transports, en étant aidée pour prendre le train ou l’avion », retrouvant enfin un peu d’égalité de traitement, si l’on peut dire…
Laurent Lejard, avril 2004.