Elle est plutôt petite, Fatima, un peu perdue dans un fauteuil roulant forcément trop grand. Les séquelles d’une polio contractée dans son plus jeune âge lui ont permis de marcher au moyen d’un appareillage et de béquilles jusqu’à l’adolescence. Elle a alors fait le choix du fauteuil : « J’ai considérablement gagné en autonomie, évité les chutes et les douleurs articulaires ». Née au Maroc, à Taza, elle est venue en France à l’âge de trois ans. « J’ai été élevé à Auxerre (Yonne). J’y ai passé mon baccalauréat, en 1994, avant d’aller étudier les langues à Dijon ». Elle a passé trois ans en Angleterre dans le cadre d’un programme d’échange internationaux (Erasmus), puis effectué un stage en Espagne avant de revenir deux ans en Angleterre. Un cursus long de huit ans pour faire ce qu’elle voulait : exercer (depuis deux ans) un métier rare chez les personnes handicapées motrices, interprète de conférence, la seule à sa connaissance en fauteuil roulant. « J’ai eu cette vocation très tôt, vers 12, 13 ans. Depuis, j’ai toujours voulu faire ce métier par amour des langues, l’envie de voyager et de dialoguer avec d’autres cultures ». Fatima traduit de l’anglais vers le français, et vice-versa, ou de l’espagnol vers le français, les débats d’organisations internationales (Unesco, ONU et ses agences, OCDE) ou des séminaires d’entreprises privées. Comme la plupart des interprètes, elle a un statut de travailleur libéral, payée à la mission. « L’activité est fluctuante, avec des périodes de calme durant l’été et en janvier ». Elle voyage beaucoup, la plupart de ses clients internationaux ayant leur activité aux USA et en Suisse.

« Je ne ressens pas le handicap dans mon travail, j’ai été bien reçue dans le milieu professionnel. Je n’ai pas subi de traitement discriminatoire, sauf positif : on se souvient davantage de moi que des autres débutantes (la profession est féminine à 80%). La différence auprès des clients se fait sur la qualité du travail; les fonctionnaires internationaux, les dirigeants d’entreprise sont des gens qui voyagent beaucoup, ils sont ouverts aux autres. Mes seules difficultés sont liées à l’accessibilité, je dois la vérifier au préalable. On change souvent de locaux, et les cabines de traduction sont généralement perchées en haut d’un escalier : à l’Unesco (Paris), par exemple, les pompiers doivent me porter. Je dois également gérer les voyages en avion et autres ».

Son temps libre, elle le donne au magazine mensuel « J’accède » dont elle assure la rédaction en chef depuis quelques mois après avoir fourni des articles durant deux années. « C’est une rencontre de hasard. J’ai toujours voulu écrire, et aussi agir dans le monde du handicap ». Fatima Khallouk est insatisfaite des associations. A J’accède, elle apporte son intérêt pour les voyages, la vie quotidienne, les transports. Son activité est bénévole et parfois compliquée à mener : « Je suis juste remboursée de quelques frais. Le bouclage mensuel prend du temps, et je dois privilégier mon travail ».

Fatima est célibataire, elle vit seule et n’a pas de projet familial pour l’instant. « Mes projets sont plutôt professionnels. Je veux poursuivre mon métier aussi longtemps que possible, avec l’espoir d’obtenir un poste permanent dans une institution internationale ce qui suppose d’accepter de s’expatrier. Je suis prête à partir, sauf aux USA à cause du climat. Et il y a très peu d’opportunités à l’ONU… »

Laurent Lejard, juin 2004.

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