Marie-Pierre Blanchet est infirme moteur cérébral, son élocution est difficile. Elle a suivi des études supérieures, obtenant une licence en Lettres Modernes, et habite à Montpellier (34) dans un appartement indépendant depuis six ans : « Je vis seule depuis peu, et participe au Conseil d’Administration du GIHP de l’Hérault. J’ai essayé de trouver un emploi, ça a été trop compliqué ». Malgré cela, Marie- Pierre Blanchet a une vie remplie : peinture, écriture, musique, danse… Elle multiplie les expositions de ses oeuvres, dont quelques- unes ont été vendues, signe de reconnaissance de la qualité de son travail pictural.
La voici désormais modèle, devant les objectifs d’Anne Beillevaire. A 33 ans, cette dernière a repris un parcours photographique interrompu en 1997 par un grave accident de moto : elle, amputée des deux jambes au-dessous du genou, et son conjoint tué sur le coup. Avant, elle avait suivi une formation durant quatre ans, au CE3P d’Ivry (94), puis avait travaillé comme tireuse- filtreuse pour l’agence Gamma. « J’avais un orteil dans la presse, je voyais les planches contacts, les retours, les sélections, j’étais en relation avec les photographes ». Elle a commencé à faire de la prise de vues et, influencée par son frère motard, elle couvre les courses de motos et partage sont temps entre son métier et des piges photo pour des magazines. Jusqu’à l’accident, et l’arrêt de la prise de vues. « J’ai retrouvé le moral quand l’association Art Prime m’a contacté pour exposer lors du salon Autonomic Paris en 2004. Ça m’a incité à reprendre la photographie ».
« Je voulais montrer la beauté sans le sexe ». Lors du salon Autonomic Marseille, sa rencontre avec Marie- Pierre Blanchet va lui permettre de relancer cette idée. « Elle participait à un défilé de mode, je lui ai proposé de poser, elle m’a demandé pourquoi, je lui ai répondu ‘parce que tu es belle’ ! ». Anne a effectué les séances de prise de vues chez Marie- Pierre, « pour m’imprégner de son univers et de son vécu ».
« Se montrer nue est tabou pour une personne handicapée, estime Marie-Pierre Blanchet. Je voulais lever ce tabou pour montrer qu’une femme handicapée peut être féminine et pas asexuée. On a toujours mis en valeur mon intelligence, je voulais également montrer que j’ai un corps. Je fais de la danse, la démarche est identique, monter que mon corps s’exprime. Un corps handicapé peut être beau et agréable à regarder. Quand Anne m’a demandé de faire des photos, j’ai d’abord pensé à moi. A mon image. Je voulais me voir pour m’ouvrir. En fait, j’avais peur de me regarder et les photos d’Anne m’ont permis de me voir. J’ai réalisé que je pouvais être belle. Après, quand on a exposé, j’étais détachée et mon corps prouve que le handicap n’est pas une barrière ».
Anne Beillevaire a joué sur l’opposition ombre/lumière, une manière de raconter la personnalité de Marie- Pierre : « Au début, je n’ai pas parlé de ces images à ma famille. Mes amis ont été étonnés, ils m’ont encouragée dans cette démarche, et après j’ai montré les photographies à ma famille. Elles sont aussi pour ma famille, pour montrer que j’étais capable d’exposer mon corps même s’il est handicapé. Et dans ma famille on parle peu du corps, ça m’a beaucoup manqué, parmi elle j’ai du mal à me sentir femme. Ma famille me voit encore comme une petite fille handicapée. Grâce aux photos d’Anne, ça va peut- être changer »…
Laurent Lejard, juin 2005.