Yvette Boyer se plait dans la chaleur du midi, elle y cultive son sourire et sa gaieté. Pourtant, cette Aveyronnaise issue d’un milieu ouvrier, née dans un village de ce qui était alors un bassin minier, rencontra une méningite mal diagnostiquée à l’âge de 18 mois. La maladie lui laissa d’importantes séquelles motrices et des difficultés d’élocution, sans altérer une vive intelligence. Les chirurgiens se sont emparés durant de nombreuses années du corps d’Yvette, cultivant auprès de ses parents l’espoir qu’elle pourrait remarcher. Une enfance passée dans des centres spécialisés, sans guère recevoir d’éducation : « J’étais avec des enfants poliomyélitiques, infirmes moteurs cérébraux, polyhandicapés, bien plus lourdement touchés que moi. Ma scolarité était hachée, elle se déroulait entre deux interventions chirurgicales. Durant des mois, j’étais, soit allongée sur un chariot plat, soit plâtrée debout ». Yvette passait parfois quelques mois dans sa famille. Cette enfance confisquée a duré jusqu’à l’âge de 14 ans. A cette époque, la Sécurité Sociale minière commence à refuser des prises en charge, l’état physique d’Yvette ne connaissant pas d’évolution significative malgré les multiples interventions chirurgicales. Elle marchait, à la maison ou en intérieur, et utilisait un fauteuil roulant à l’extérieur. Après une chute sur une hanche fraîchement opérée, Yvette perdit définitivement la marche, elle venait d’entrer dans l’adolescence.

Éloignée de ses parents, qui vivaient mal le handicap de leur fille et vouaient une (trop) entière confiance aux médecins, Yvette a séjourné dans plusieurs foyers spécialisés avant d’intégrer, à Évreux (Eure), le seul qui accueillait des femmes âgées de plus de 20 ans. Elle y rentre en 1968. « Je voulais faire un rattrapage scolaire, puis travailler. Le foyer était proche du centre-ville, des enseignants venaient donner des cours et apportaient un soutien ». Lassée du climat normand, Yvette s’installe à Marseille, en 1975, au Foyer Bellevue créé par Germaine Poinso-Chapuis, qui fut la première femme ministre en France (en 1947) et qui fonda dans la cité phocéenne une association spécialisée dans l’accueil des personnes handicapées.

Ce fut là qu’Yvette rencontra Emmanuel, qui allait devenir son compagnon et lui permettre, en 1984, de sortir enfin des établissements spécialisés. Lui donner un enfant, aussi, en 1989. « Un médecin auquel je parlais de mon désir d’enfant m’a répondu que c’était une question de volonté. J’ai eu une grossesse normale, l’accouchement s’est fait par césarienne parce que c’était plus sur du fait de ma morphologie ». Pierre, son fils, a 15 ans aujourd’hui : « Malgré toutes les difficultés que cela peut engendrer, il est ma bouée de sauvetage »… Pour l’élever, elle a eu recours à des jeunes filles au pair qu’il fallait former durant plusieurs semaines. « Vivre en ville, en dehors d’un établissement spécialisé, a été dur au début; je n’étais pas préparée. Il m’a fallu m’adapter mentalement et moralement. Je suis assez tenace, je me suis bien débrouillée. Mais seule, je n’y serais pas arrivée ».

Yvette ne travaillait pas mais elle avait entrepris des études supérieures; n’ayant pas le baccalauréat, elle a dû obtenir une capacité en Droit, à l’âge de 32 ans, suivie d’une année à l’Institut de Criminologie d’Aix en Provence, afin de pouvoir intégrer la Faculté de Droit. Mais elle ne put poursuivre au-delà de la première année de DEUG, ne pouvant à la fois assumer études et vie familiale du fait de l’absence d’aide aux mères handicapées.

Yvette et Emmanuel ont quitté Marseille depuis quatre ans pour s’installer dans la maison qu’ils ont fait construire à Gardanne, une petite ville proche au passé minier. Depuis quelques années, Yvette est entrée en militance : « En rencontrant plusieurs fois d’autres personnes avec des handicaps et des vies différentes, nous nous sommes aperçus que nous avions les mêmes problèmes, tant sur le plan financier que dans la recherche de personnes pour nous aider dans nos actes de la vie quotidienne. Nous avons alors décidé de créer une association qui soit le porte parole de nos problèmes au niveau des diverses institutions ». Fondée en 1999, « Choisir Sa Vie » est devenu un interlocuteur des pouvoirs publics locaux. L’association apporte également aide et conseil à des personnes lourdement handicapées. Et Yvette continue, à l’aube de la soixantaine, à profiter de ce soleil qu’elle aime tant et qui lui donne de si belles couleurs…

Laurent Lejard, septembre 2005.


Association « Choisir Sa Vie« , Espace Acadel, 185 rue de Lyon 13015 Marseille. Tél/Fax : 04 91 58 36 77.

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