Laetitia Rebord vit à Grenoble en semaine, le week-end chez ses parents à Albertville. Elle vient de terminer ses études et d’obtenir un Master de traduction multilingue (anglais et italien) spécialisé en langages techniques et juridiques, et entame un stage dans une grande entreprise industrielle qui pourrait bien déboucher sur son premier emploi dès septembre. « Je suis née avec une maladie neuromusculaire, l’amyotrophie spinale infantile. Un nom plutôt barbare pour décrire un dysfonctionnement dans mes gênes qui a abouti à la paralysie presque totale de mon corps. Même si cette triste fatalité m’a privé de beaucoup de choses dans la vie, elle est à l’origine d’une volonté de réussite insatiable. Ce destin m’a apporté l’envie de me battre, la faculté d’apprécier tous les petits moments de bonheur dont la vie est riche et dont plus beaucoup de monde n’a conscience ».

Laetitia Rebord est désormais dépendante, sa mobilité étant réduite au mouvement limité d’un seul pouce. Elle contrôle les déplacements de son fauteuil roulant par une commande à la bouche créée par son père (« ce génie » !), utilise un ordinateur par clavier virtuel et dictée vocale : « C’est le vrai parcours du combattant de vivre en fauteuil roulant dans notre société ! Malgré toutes ces difficultés et tous ces obstacles à une vie normale, mes parents ont fait preuve d’un immense courage et m’ont toujours ‘insérée’ dans un milieu que l’on dit ordinaire, tout ce qui s’oppose aux centres ou institutions pour handicapés. J’ai donc été scolarisée dans l’école primaire, le collège puis le lycée de ma ville d’origine moyennant tout de même quelques aménagements effectués par mon père à une époque où les personnes handicapées commençaient tout juste à sortir de leur cachette. Dès mon plus jeune âge, j’ai compris que l’informatique ferait partie intégrante de ma vie et que ce serait pour moi un moyen de communiquer, de me divertir, de travailler, de vivre en somme ». Un travail qu’elle envisage essentiellement à domicile, et la traduction de textes techniques ou juridiques colle bien à ce souhait : « Le travail à domicile m’aide à gérer mon rythme de vie, c’est déjà ce que je fais avec mon stage professionnel ».

Sur un plan plus personnel, Laetitia Rebord travaille à l’écriture d’un roman consacré à la danse contemporaine (« une vie que j’aurais aimé mener »), l’une de ses passions. Tout en animant un forum Internet : « J’ai créé Handicap et Sentiments en mars 2005, parce que je n’en connaissais aucun à cette époque alors qu’il existait sur Internet de nombreuses ressources sur le matériel, les aides diverses, etc. Le forum a connu un grand succès, immédiatement, ça m’a donné envie de le poursuivre, de l’animer. Il m’a apporté des réponses à des questions que je me posais. Là, j’ai rencontré des gens qui ont les mêmes projets de vie, j’y ai trouvé de l’espoir alors que j’étais très pessimiste. On parle de tous les handicaps, de la paralysie à la cécité. Il m’a apporté beaucoup d’amitié, mais sans plus pour l’instant ». Une manière de dire que Laetitia Rebord cherche encore l’âme soeur…

« La rencontre peut se faire, pour moi ce sera plus long, différent, ça ne sera pas sur une attirance physique. L’amour en étant handicapé, c’est possible. Aujourd’hui il n’y a aucun problème à dire que l’on vit avec une personne handicapée. Mais il n’y a pas si longtemps, c’était vu comme quelque chose de malsain. Sur le forum, on s’encourage, parce que dans le même temps on voit nos amis valides qui se marient, ont des enfants, ensemble on résiste à la frustration. Je pourrais avoir un enfant, mais avec un grand risque de naissance prématurée et d’aggravation de ma santé parce que la maternité consommera une grande partie de mon énergie ». Laetitia s’interroge également sur l’après accouchement, comment élever un enfant en étant lourdement handicapée.

Elle espère pouvoir prochainement s’installer dans un appartement adapté, sans avoir besoin de recourir à ses parents, et réfléchit à un projet de logements semblables à ceux qu’elle a connus dans la résidence universitaire grenobloise; ce foyer pour étudiants handicapés comporte une vingtaine d’appartements aménagés et du personnel d’aide à domicile disponible à n’importe quel moment lorsque l’on en a besoin. « Comment me vois-je dans dix ans ? Cela est tout à fait le genre de question que je ne me pose plus. J’ai déjà dû faire le deuil de tellement de mes plus grands espoirs que je préfère vivre au jour le jour et tirer profit de tout ce que j’accomplis et réussis à l’instant présent »…

Laurent Lejard, juin 2007.


Sur le web : le site Handicap et Sentiments.

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