Née au Chili, Elisa Rojas est arrivée en France dans son jeune âge. Ses parents y étaient venus consulter un chirurgien spécialiste de l’ostéogenèse imparfaite, la maladie rare qui a touché Élisa. De quelques semaines, leur séjour est devenu définitif; son père, photographe de presse, s’est spécialisé dans la photographie d’oeuvres d’art, sa mère est devenue assistante sociale. « Au début, on s’est installé en Bretagne, près de Roscoff, parce que j’étais soignée au centre héliomarin. Puis la famille est venue à Paris ». Elisa Rojas a débuté sa scolarité primaire à l’institution Saint-Jean de Dieu, qu’elle a quitté à sa demande en C.M 1 pour aller à l’école ordinaire : « Je l’ai demandé à ma mère. Mes parents pensaient que je serais davantage protégé en institution, même si son caractère religieux était en contradiction avec l’éducation familiale et les convictions de mes parents. Ce qui m’était proposé ne me convenait pas, je ne voyais pas de perspectives d’avenir, les autres enfants étaient résignés et sans enthousiasme. Alors que je pensais déjà que tout était ouvert, j’ai compris qu’il fallait que je parte ».

Elisa Rojas affronte avec plus ou moins de difficultés l’école, le collège, le lycée : « J’ai toujours adoré l’école, et apprendre, ce qui m’a permis de tenir jusqu’au bout. Il fallait aussi concilier cette priorité avec les soins, qui occupaient les vacances scolaires ». Durant ces années, elle a dû gérer les angoisses des équipes éducatives face à une jeune handicapée parfois dépendante de l’aide des autres, l’accessibilité aléatoire des locaux, les relations avec les camarades de classe qu’elle sollicitait : « C’était parfois difficile, alors que j’avais été très bien accueilli par les camarades de l’école primaire. Ils avaient témoigné d’une saine curiosité, sans arrière-pensée, qui me permettait de trouver mon équilibre ».

En entrant au lycée, Elisa opte pour une filière littéraire. Elle dessinait beaucoup et pensait à une carrière artistique mais au fil des années, en confrontant son travail avec celui d’autres jeunes artistes, elle ne s’est pas sentie la force de défendre ses créations, n’était pas convaincue d’avoir du talent : « Un professeur m’a expliqué que le dessin était mon mode d’expression dans l’enfance, que l’écrit me convenait davantage ». Après avoir obtenu son baccalauréat, elle entame des études de droit qui la conduisirent jusqu’à l’obtention d’un D.E.S.S Droits de l’homme et international humanitaire : « On me disait que je m’exprimais bien, j’ai pensé que je pouvais mettre ce talent au service des autres. J’ai aussi choisi de faire du droit par goût pour le caractère rigoureux de cette discipline et le travail intellectuel qu’elle suscite, et pour acquérir des connaissances que je pourrais ensuite mettre au service de mes convictions. Ce que je fais aujourd’hui à travers mon métier et mon engagement au sein du Syndicat des Avocats de France ».

Elle travaille actuellement au Conseil de l’Ordre des avocats pour défendre les recours des réfugiés devant les juridictions administratives après que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides leur a refusé un titre de séjour. « Il m’a fallu 18 mois d’efforts avant de trouver un emploi, et la recherche d’un stage, durant ma formation, a été plus longue que pour mes camarades. Deux cabinets ont accepté de me rencontrer, il fallait rassurer, expliquer que tout se passerait sans que je sois un obstacle ». Elisa a débuté dans le métier il y a quelques semaines, et n’a pas encore plaidé. « Quand je dis que je suis avocate, c’est l’étonnement, mais on est content pour moi. Des confrères que j’ai rencontrés se sont parfois demandé comment je pourrais exercer, gérer mes déplacements et les réactions des clients ou des autres avocats. Alors que mon expérience est que ça se passe bien ».

Son éloquence n’est pas réservée qu’à la justice, elle sait également la mettre au service des personnes handicapées. Elle a eu à deux reprises les honneurs d’une publication dans la presse nationale de deux billets d’humeur, l’un en 2004 au sujet de la représentation des personnes handicapées lors du Téléthon annuel qui lui valut un débat télévisé avec la présidente de l’Association Française contre les Myopathies dans la défunte émission de France 5 « Arrêt sur images » (dont les archives web ont été supprimées par la chaine…), l’autre au sujet de la stigmatisation des personnes en fauteuils roulants lors d’une campagne de prévention routière lancée par la Ville de Paris. « L’image donnée des personnes handicapées lors du Téléthon les dessert, et je regrette que l’on ne puisse débattre de manière raisonnable du Téléthon ».

Son apparence physique fait qu’on la prend parfois pour une enfant : « Je ne compte plus les questions qu’on me pose. Je réponds le plus gentiment possible, il y a des jours où ça me fatigue, je m’énerve rarement, ça me remplirait d’énergie négative ! Dans les établissements qui reçoivent du public, je n’hésite pas à appeler le responsable, à demander des excuses quand par exemple on refuse de m’installer à une table placée sur une moquette rouge parce que les roues du fauteuil roulant pourraient y laisser des traces… ». Elle participe à la commission discrimination du Syndicat des Avocats de France pour élaborer des stratégies judiciaires, constatant le peu de matière et de contentieux portés en justice. « Je n’ai pas le sentiment d’avoir subi une double discrimination du fait d’être femme et handicapée, le handicap efface le genre. Mais la discrimination est courante en tant que personne handicapée. Ma préoccupation, c’est de vivre ma vie et que les obstacles disparaissent, des obstacles qui sont le résultat de dysfonctionnements de la société. Le handicap est une expérience de vie qui est personnelle, non transposable, qui ne rend pas particulièrement héroïque. Et on n’a pas à apporter aux autres un supplément d’âme parce que l’on travaille ou qu’on va à l’école. C’est à nous de recadrer tous les débats qui nous concernent ».

Laurent Lejard, septembre 2007.

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