Elles sont très rares, les Guinéennes handicapées qui soient capables de formuler des problèmes spécifiques, en dehors des difficultés liées à la vie familiale. Exemple de l’indifférence et de la négligence dont la problématique du handicap est l’objet en Guinée : il est quasiment impossible de trouver une structure associative ou toute forme d’organisation susceptible de s’intéresser à la vie que mènent les personnes handicapées, qui ait pensé à aborder la chose sous l’angle du genre. Dans la forêt des associations revendiquant la défense et la promotion des personnes handicapées, on se borne très souvent à ressasser « la discrimination et la marginalisation des porteurs de handicaps ».

Or, des problèmes, il y en a à coup sûr. A commencer par le sort de M’Ballou Camara et Aïcha Bangoura, deux jeunes filles paraplégiques qui ont établi leur base à l’esplanade du stade du 28 septembre, dans la commune de Dixinn, un quartier de Konakry la capitale. Ici, du lundi au dimanche, de 8 heures à 14 heures, elles implorent la clémence et la pitié des passants. Deux jeunes filles, en âge d’être scolarisées, mais qui n’ont jamais pris le chemin de l’école; leurs parents respectifs n’y ont pas sérieusement songé. Mais toutes deux affirment être en mesure d’exercer le métier de coiffeuse. Aïcha dit même qu’elle serait prête à faire de la couture à condition d’avoir une machine qu’elle pourrait faire tourner à la main.

Et si personne n’a pensé à trouver une autre alternative à ces deux jeunes filles qui revendiquent une amitié fondée sur leur handicap commun, c’est certainement en partie parce que le butin de la mendicité sert à quelque chose : « En temps ordinaire, on gagne jusqu’à 50.000 francs guinéens par jour (5,73€). Mais actuellement, vu que les temps sont particulièrement durs, on gagne entre 10 et 35 000 GNF par jour », déclarent-elles. Un montant qu’elles disent remettre à leurs parents. Aïcha précise : « En ce qui me concerne, puisque ma mère est malade, il arrive que je lui en donne une partie afin qu’elle s’achète des produits. » Pour ce qui est de M’Ballou, elle indique que ses parents puisent dans ses recettes pour « réparer son fauteuil roulant quand cela est nécessaire ». Et l’importance du rôle social de ces jeunes filles pour leurs familles respectives ne se résume pas à l’apport financier. Parallèlement, on leur confie du pain ou de l’eau glacée à revendre à la criée.

Le sort de Ciré Diallo, handicapée mère de trois enfants qui, elle, a établi sa base au rond-point de Hamdallaye, dans la banlieue de la capitale, n’est certainement pas meilleur. Native de Kouroussa, une ville de la haute Guinée, Ciré pratique ce qu’on pourrait appeler une « mendicité saisonnière ». Elle révèle être arrivée à Conakry après les grosses pluies et vouloir s’en retourner au crépuscule de la saison sèche. Elle justifie son activité par la nécessité de trouver de quoi relancer son petit commerce. En fait, il s’agirait de quelques paquets de cigarettes, de bougies, de piles, etc.

Passant toute la journée avec ses deux enfants, Kadiatou et Mamady, sous l’accablant soleil de cette fin d’année, Ciré Diallo dit partager son mari avec une seconde femme qui, elle, ne souffre d’aucun handicap. Son mari, cultivateur à Kouroussa, ne serait pas méchant à son égard, mais « n’a pas les moyens pour me venir en aide », plaide-t-elle. En attendant, le seul désir de Ciré est de pouvoir trouver un tricycle qui lui permettrait d’abandonner les béquilles qui la fatiguent.

Agée de 39 ans et exerçant le métier de secrétaire à la direction nationale de la protection sociale, Djénabou Diallo semble avoir eu plus de chance. Elle n’avait certes pas poussé les études jusqu’au niveau supérieur mais elle avait eu la présence d’esprit de s’orienter vers une école professionnelle, après son échec au baccalauréat. Et depuis trois ans, elle émarge à la fonction publique. Militant dans de nombreuses associations de défense des droits des personnes handicapées dont la grande fédération guinéenne des associations des personnes handicapées (FEGUIPAH), elle se plaint néanmoins de ne pas avoir encore trouvé d’époux à sa convenance…

La difficulté à trouver un conjoint, c’est le principal problème que pointe Mariam Sylla, présidente de l’unique association des femmes handicapées de Guinée. Selon elle, les hommes perçoivent ces femmes comme des épouses potentiellement porteuses de charges et de dépenses supplémentaires, raison pour laquelle elles ont très généralement du mal à trouver un foyer conjugal. Par ailleurs, indique Mariam Sylla, « les femmes handicapées qui trouvent un époux le doivent souvent à leur réussite sociale. C’est à cause de ce qu’elles ont qu’on voudra les épouser. Ce sont souvent des couples bâtis autour de calculs d’intérêts et non sur d’authentiques sentiments. Toutes les femmes handicapées qui ont un mari, ce sont elles qui soutiennent leurs maris et leurs enfants. » Le hic selon elle, c’est qu’une certaine conception sociale perçoit de manière plutôt négative une femme qui n’a pas de foyer. Ce qui, du coup, obligerait beaucoup de femmes handicapées à subir dans leur foyer conjugal, sans aucune possibilité de réaction ou de contestation. Cette situation, Mariam Sylla affirme l’expérimenter dans sa propre famille où elle est la seule à prendre en charge l’intégralité des frais que nécessite l’éducation de ses trois enfants.

Dans ce tableau plutôt sombre, Madame Konaté née Fatoumata Bah, fait figure d’exception. Etant privée de l’usage de sa jambe droite, des suites de la poliomyélite dès l’âge de 7 ans, elle avait, grâce au soutien de son père relativement nanti, réussi à étudier jusqu’à l’université, d’où elle est sortie avec un diplôme de comptabilité-gestion. Ayant fait valoir ses compétences dans un certain nombre d’entreprises privées, elle proclame non sans une certaine fierté : « Je suis actuellement inspectrice des services financiers et comptables et je suis lieutenant des douanes. » Avec son époux, directeur adjoint en charge de l’éducation civique à la commune de Matam, elle a eu trois enfants dont la première est actuellement en 3e année de Droit. Même si elle soutient que son mariage n’a rien à voir avec sa relative réussite, elle confie néanmoins : « Mon mari, souffrant, est en France où j’ai réussi, avec mes petits moyens à le faire évacuer. » La politique est également un domaine dans lequel s’investit Madame Konaté. Elle est ainsi la première vice-présidente de la section des femmes de la commune de Dixinn, au sein du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG, parti au pouvoir). Et elle n’exclut pas l’idée de se faire inscrire sur la liste de son parti, au compte des prochaines élections législatives. Ambitions politiques qui risquent bien de se heurter, selon elle, à certains « préjugés et stéréotypes ». Scepticisme qu’elle exprime sans ambages : « Dès que vous ambitionnez d’entreprendre quelque chose, on vous rétorque que vous êtes handicapée et que vous n’êtes pas capable de ceci ou de cela… Mais, je n’abandonnerai pas. »

Comme on peut le voir, en Guinée, la plupart des femmes handicapées souffrent tout d’abord de la méconnaissance de leurs droits. Très souvent, leur combat se limite à la recherche de la pitance, du pain quotidien. La scolarisation, l’emploi ainsi que l’accès à des postes de responsabilité et de décision sont hélas, bien souvent considérés par elles comme de l’ordre de l’inaccessible.


Boubacar Sanso Barry, février 2012.

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