Il aura fallu à Michèle Sommé une vingtaine d’années pour publier le récit romancé de sa vie de femme, d’épouse et de mère de famille fauchée en pleine vigueur par un accident vasculaire cérébral qui l’a laissée paralysée, sourde et privée de la parole. Elle raconte comment elle a conquis le maximum d’autonomie possible avec, au début de son hospitalisation, un mode de communication à partir des lettres de l’alphabet tracées sur un carton qu’elle et ses proches pointaient du doigt pour former des mots. Un récit poignant, imprégné des émotions et du ressenti personnel de l’auteure, qui témoigne que la volonté et l’ouverture d’esprit peuvent vaincre les handicaps les plus lourds. Et retrouver une vie de femme, comme elle le raconte au terme de son livre, L’Alphabet.

Michèle Sommé : L’Alphabet a été écrit il y a 20 ans, suite à « l’histoire » irlandaise qui fut suivie d’une dépression puis d’un « réveil » de ma part et j’ai entrepris des choses, en particulier une formation de correctrice. J’ai trouvé un éditeur qui m’a employée et, depuis, est devenu un ami, à qui j’avais il y a des années fait lire ce livre. L’hiver dernier, il m’a convaincue de l’éditer. Voilà pour l’histoire de L’Alphabet. Tout y est vrai.

Question : En fait, ce roman est un récit. Que s’est-il passé depuis ?

Michèle Sommé : D’abord, ce livre n’a pas été écrit pour être publié. Après l’Irlande, j’ai fait une dépression. J’ai dû voir quelqu’un et c’est lui qui m’a conseillé d’écrire comme une thérapie, il m’a aussi dirigée vers la correction, nos échanges se passant par écrit il avait vu que j’étais bonne en orthographe. Là, j’ai retrouvé ma personnalité et mon « allant »; j’ai fait une formation à domicile, par l’intermédiaire de l’Agefiph, puis j’ai envoyé des CV. Avec des refus à chaque fois, jusqu’à ce qu’un éditeur dont le père était handicapé décide de m’embaucher. Dans le même temps, j’ai déposé des annonces sur Internet et j’ai des clients réguliers, en travaillant sous le statut d’auto-entrepreneur.

Question : Tout est clair dans votre récit, vous exposez votre personnalité et son évolution, vos sentiments. Mais sans jamais évoquer l’aspect matériel et financier des conséquences du handicap…

Michèle Sommé : Je suis assez privilégiée. Mon mari était ingénieur, nous avons toujours vécu en couple. J’ai été prise en charge par la Sécurité Sociale sur le plan médical à 100%. Donc, j’ai toujours eu une infirmière « gratuite », et une femme de ménage que l’on paie, mais elle ne vient que trois heures, je suis autonome pour le reste. Médicalement, je n’ai plus jamais eu de problème relatif à l’AVC.

Question : Il est étonnant de constater que lors de votre parcours de rééducation on ne vous ait pas proposé des solutions de communication, par pictogrammes, alphabet adapté ou matériel électronique…

Michèle Sommé : Étant polyhandicapée, le problème a été après l’hôpital de trouver un établissement qui prenne en charge tous mes handicaps en même temps. J’ai eu une orthophoniste mais, je le raconte dans mon livre, à un moment je n’en pouvais plus et je ne désirais qu’une chose : rentrer chez moi. Ensuite j’ai tout fait seule. Mais je dois dire quand même que je suis assez solitaire.

Question : Quelles sont les réactions des lecteurs de L’Alphabet ?

Michèle Sommé : Je ne connais que celles de mes proches, et ils sont bouleversés. Ça a été une période très dure pour eux aussi, et comme on ne communiquait que peu, ils ont découvert beaucoup dans ce livre.

Question : Cela valait donc la peine de le publier ?

Michèle Sommé : Franchement, je n’y pensais plus. C’est l’éditeur qui a insisté. Je n’avais pas imaginé rencontrer un journaliste ! Pour moi, ce livre c’est du passé. Je l’ai relu et je ne me reconnais plus dans la femme d’aujourd’hui. Qu’en avez-vous pensé en le lisant ?

Réponse : L’intérêt de votre livre tient dans le vécu et la franchise, la libération des émotions et la confiance dans l’humain.

Michèle Sommé : Je ne me rends pas compte. Vous savez, je le dis dans le livre, tout est sorti comme un flot, une fois commencé tout est venu sans que je réfléchisse. C’était une urgence, une libération.


Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2013.


L’Alphabet, par Michèle Sommé, éditions Atlande, 15€ en librairie.

Partagez !