Si la ligne d’écoute Violences Conjugales Info gérée par la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) existe depuis 1992, le numéro abrégé 3919 est assez récent : créé en 2007, il couvre la métropole et les départements d’Outremer. En 2012, il a reçu 31.000 appels : 20.000 concernaient des violences faites aux femmes, dont 15.500 dans le cadre conjugal. Seuls ces appels étaient alors traités par des écoutantes, puisque ce service de la FNSF n’était mandaté que pour les violences conjugales. Depuis le 1er février 2014, le 39 19 devenu Violences Femmes Info fonctionne 7 jours sur 7 et traite également les violences sexuelles, mariages forcés et harcèlement sexuel au travail. Si le site web de la FNSF est accessible par des versions adaptées aux personnes handicapées visuelles ou motrices, celles qui sont déficientes auditives ne peuvent qu’utiliser le formulaire de contact pour communiquer, hélas surmonté d’une mention « En cas de violences, merci d’appeler le 3919 » plutôt dissuasive… Une interface de visio-interprétation en Langue des Signes Française est envisagée pour 2015.

« Les appels sont traités par des écoutantes bienveillantes, sans jugement, pour faire le point sur la situation, sortir de la violence, explique le responsable de la plate-forme téléphonique, Adrien Ricciardelli. Elles informent sur les droits, les dispositifs sociaux, orientent vers des structures locales si cela semble nécessaire. » En fait, la mission du 39 19 consiste en une écoute anonyme de l’appelante, qu’il ne prend pas en charge et dont il n’assure pas le suivi du problème. « C’est un point d’entrée, justifie Adrien Ricciardelli. Parce qu’en matière de violences conjugales, un entretien en face à face n’est pas évident. Un appel peut durer longtemps, plus d’une demi-heure, la partie écoute est la plus longue. Les appelantes peuvent subir des violences depuis plus de 10 ans, sans en avoir parlé : le faire n’est pas immédiat, il y a des silences, des hésitations. »

Peu de femmes handicapées appellent le 39 19 : elles étaient 193 seulement en 2012. Selon l’étude réalisée par l’universitaire Maria Eugenia Uriburu, responsable de l’Observatoire de la Fédération Nationale Solidarité Femmes, « on constate souvent que la consommation par les victimes d’alcool/drogue est liée à la maladie et/ou handicap est une forme d’automédication pour gérer la douleur et/ou souffrance physique comme psychique ». L’analyse des appels montre que le handicap participe au contexte d’aggravation des violences, et met également en évidence un aspect méconnu : « 91 victimes déclarent être en invalidité à cause des violences ». Les violences conjugales créent donc du handicap. Face aux femmes violentées du fait de leur handicap, le 39 19, du fait de sa mission limitée, avoue être un peu démuni. « Les écoutantes orientent vers le 39 77 d’Habéo, reprend Adrien Ricciardelli. Habéo peut envoyer des assistants sociaux au domicile, faire intervenir le planning familial. » Le 39 19 oriente également des appelantes handicapées vers la seule association nationale qui traite des violences qui leur sont faites : Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA).

« On nous téléphone directement, et le 39 19 nous envoie des personnes, précise la présidente de FDFA, Maudy Piot, psychanalyste aveugle. On en reçoit une centaine dans l’année. 95% des violences sont conjugales, la plupart des femmes victimes handicapées sont sans emploi, le reste concerne des violences familiales ou de proches. » Elle constate que les violences sont « tous handicaps », avec peut-être davantage de femmes aveugles, et que très peu sont signalées par l’entourage. Des femmes handicapées hébergées en maisons de retraite, à l’hôpital ou en établissements médico-sociaux signalent également des violences institutionnelles.

Et côté solutions quand le départ du domicile est nécessaire ? « C’est la catastrophe ! clame Maudy Piot. Parce qu’il n’y a quasiment pas de lieu d’accueil accessible ou adapté, tout juste quelques chambres en foyer, en banlieue parisienne. J’ai écrit à la ministre des Droit des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, et aux autorités pour les informer. On est écouté, on participe à des groupes de travail, avec l’engagement que ça avance, mais il n’y a pas encore de solutions. Et faute de solutions, très peu de femmes handicapées sortent de la violence. » Outre les carences en foyer d’hébergement adapté, peu d’interprètes en langue des signes interviennent dans les commissariats, deux avocats seulement semblent en mesure de bien défendre les spécificités des femmes handicapées violentées. Seul signe positif relevé par Maudy Piot, la seconde enquête Violences et rapports de genre (VIRAGE) confiée à l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) traitera l’impact du handicap dans les violences faites aux femmes. Au moins, les hommes (et femmes) politiques ne pourront plus dire qu’il ne savent pas…

Laurent Lejard, février 2014.

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