A 36 ans, l’Ariégeoise Chantal Rubio reste une battante. Fondatrice il y a six ans de l’Association Pourquoi Pas Moi (APPM), elle informe les personnes sur les droits et conduit des actions de sensibilisation à la déficience visuelle et ses besoins spécifiques auprès des jeunes et des élus locaux. « Je suis née avec une myopie dégénérative qui évoluera vers une cécité blanche. Sans correction, j’ai une vision de -50, et avec correction elle remonte à 2 et -8. Je détecte les objets jusqu’à 1 m de distance, et je peux lire. » Par prudence, elle utilise une canne blanche pour ses déplacements nocturnes, autant pour sa sécurité que pour se signaler aux passants. Elle a appris le braille lors d’une grosse perte de vision, connaît l’intégral mais pas l’abrégé : « Je m’en sers pour le promouvoir, notamment dans les écoles. D’ailleurs, un petit garçon est venu récemment me dire qu’avec ses copains ils se passaient des mots en braille, comme un langage secret ! Les enfants s’intéressent beaucoup, on fait de la sensibilisation, du partage, dans le mouvement et le jeu. Ça me tient à coeur aujourd’hui, parce que les enseignants ne sont pas formés aux handicaps. Certains disent que ce n’est pas leur rôle, qu’il y a des centres pour les enfants handicapés. »
Dans ces actions de sensibilisation, elle trouve aisément ses repères puisqu’elle a effectué une scolarité en milieu ordinaire, avec quelques adaptations, obtenant un BTS Economie Sociale et Familiale après un BEP puis un baccalauréat professionnel. « Dès 17 ans, j’étais dans le monde actif, j’ai écouté et appliqué. J’ai été mariée, j’ai eu trois enfants, mais j’ai rencontré des difficultés à travailler du fait de l’absence de permis de conduire. Sur 75 entretiens d’embauche, aucun résultat alors que l’Agefiph aurait financé mes déplacements professionnels. » Elle a donc consacré son temps à élever ses enfants, alors que sa vision s’aggravait. « Je vis avec l’Allocation aux Adultes Handicapés. Je me suis adressée à la Maison Départementale des Personnes Handicapées de l’Ariège, qui n’avait rien à me proposer. Alors j’ai suivi des cours de braille à Toulouse, en effectuant des trajets hebdomadaires en train, juste qu’à ce qu’une éducatrice me donne des cours ici, à Pamiers. C’est là qu’est venue l’idée, après une étude de marché, de créer l’Association Pourquoi Pas Moi. C’était avec mes copines d’abord, puis d’autres, nous avons maintenant 71 adhérents, c’est beaucoup pour un département comme l’Ariège. » Récemment, l’association a ouvert une section handisport pour une dizaine de pratiquants en équitation, natation, randonnée.
Cette année, l’APPM consacre une grande partie de son travail à un projet culturel, « Midi-Pyrénées dans tous les sens », action photographique initiée il y a deux ans par des personnes aveugles avec le soutien de la Région. « On tourne l’histoire à l’envers, on est six ou sept à aller sur des sites que l’on photographie, comme la basilique Saint-Sernin à Toulouse, la chartreuse de Villefranche-de-Rouergue, Rocamadour… Une photo-journaliste du quotidien La Dépêche nous accompagne. En prenant des photographies, nous voulons transmettre des émotions, le ressenti du lieu et du monde, on transmet nos sens, en enregistrant nos ressentis. » De ces prises de vue sortira d’ici la fin de l’année une sélection de photographies mises en relief puis exposées dans plusieurs lieux de la région Midi-Pyrénées, et au-delà si elle suscite l’intérêt. Chantal Rubio aimerait bien aboutir rapidement, mais dans cette affaire qui revient quand même à 60.000€, l’avancée du travail dépend étroitement de la recherche de fonds.
Outre cet engagement associatif, Chantal Rubio est également politiquement engagée. Elle était candidate (non élue) lors des élections municipales de Pamiers en mars 2014 et sera suppléante lors des Départementales des 22 et 29 mars prochains du binôme mêlant le socialiste sortant André Montané (actuel président du Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique) et des représentants de la société civile comme se définit elle-même Chantal Rubio : « J’ai des idées de gauche, mais je ne suis pas membre d’un parti politique. André Montané voulait quelqu’un d’engagé, de volontaire, pour faire changer le regard des gens. Si dans notre département l’Association des Paralysés de France est solide, la déficience visuelle est parsemée d’une multitude d’associations qui ne parlent pas d’une seule voix. Dans cette ruralité, on est coupés des autres, avec des difficultés de déplacement. En Ariège, on retarde de 30 ans par manque de connaissance, parce que les gens ne savent pas comment s’y prendre. » Le récent classement de l’accessibilité dans le département en témoigne : « Cela donne envie d’accompagner plutôt que de réprimander. Une volonté de montrer comment faire les choses. Je ne suis pas pour l’assistanat, mais pour l’accompagnement. D’ailleurs, la Prestation de Compensation du Handicap est contrôlée. Mais l’aide sociale est nécessaire. On fait partie de la société. On doit expliquer notre monde de la déficience visuelle aux personnes valides. Si on est autonome, on n’a plus notre handicap jeté à la figure. Et on a une vie à côté. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2015.