Comment dire des mots doux en langue des signes à celle ou celui que l’on aime ? Un joli petit livre répond à ce besoin affectueux, conçu à la suite de la rencontre d’une maman sourde inventive, Virginie Martel, professeure de coiffure à l’Institut National de Jeunes Sourds (INJS, Paris), et d’une illustratrice entendante, Pénélope. De là est né un ouvrage, Des mains pour dire je t’aime (Editions Les Grandes Personnes), conçu pour être un tendre trait d’union entre entendants et Sourds. « J’ai appris que certains mots que l’on croit doux sont péjoratifs en langue des signes ! s’amuse Pénélope. Par exemple, ‘mon canard’ désigne quelqu’un de bruyant qui bouge tout le temps et qui est désagréable ! On a travaillé en petite équipe à l’INJS, à l’heure du déjeuner, avec les talents de chacun : Virginie Martel, Alain Gébert professeur sourd de Langue des Signes Française, Monique Gendrot interprète qui gérait aussi le planning, et moi pour le concept artistique du livre. Alain a été très structurant afin de mettre en forme les signes pour leur transcription émotionnelle et artistique. »

Alain Gébert a effectué la recherche et la sélection des signes affectueux exposés dans le livre : « On a analysé ces mots doux, explique-t-il, ces signes affectifs qu’on a trouvés dans les familles de parents sourds avec des enfants sourds ou entendants et notamment auprès de Virginie. Quelques signes qui font partie de ce vocabulaire affectif ont émergé, et Pénélope les a mis sur papier. » Un véritable travail de création puisque c’est habituellement par l’expression du visage que les Sourds signeurs font passer l’affection et le sentiment. Virginie Martel, maman d’Océane, Tiffany, Sélina et Enzo, raconte son rapport aux mots doux qu’elle dit à ses enfants.

Question : La plupart des mamans sourdes interrogées lors des Portes Ouvertes de l’INJS en 2013 disaient utiliser un seul signe avec leurs enfants, « chéri ». Vous, vous en utilisez beaucoup : comment vous est venue l’idée de créer des expressions pour vos enfants ?

Virginie Martel : 
Je suis quelqu’un d’affectueux. Mes enfants n’étaient pas encore nés quand je voyais régulièrement un petit garçon qui aimait beaucoup les dinosaures et moi je lui disais « Tiens, mon petit dinosaure! » et tout ça. J’ai vu que ça l’avait touché, qu’il avait apprécié. Je voyais aussi une petite fille qui aimait la danse, je l’appelais « ma petite ballerine ». C’était avec des enfants que je connaissais. Et puis mon premier enfant est né, une fille, et tout de suite on est dans une relation affective, il y a des mots d’amour qui se mettent en place. Toute petite, elle ramassait les fleurs et me les apportait toujours, je lui disais : « bien ma petite fleur, ce que tu es mignonne ! », ça lui faisait plaisir et donc c’est resté. Ça vient du coeur, de cette relation affectueuse et comme mes enfants ont des identités différentes, je leur ai donné des petits noms différents, « mon petit ange », « mon petit coeur », suivant le profil des uns et des autres. Et c’est vrai que l’une de mes filles est toute fine, c’est « ma petite crevette », et aussi « ma cocotte » parce qu’elle bouge beaucoup et part dans tous les sens ! Une autre de mes filles est très coquette, « ma petite fée », ce qu’elle aime c’est ça. Par rapport aux mamans que j’avais interrogées, c’est vrai que je n’avais pas forcément réfléchi et que je ne m’étais pas rendu compte qu’il y avait ces signes affectifs et qu’entendant ou sourd on exprime cette affection, ses sentiments, ses émotions face à un enfant. Et puis ce sont des signes qui sont positifs, je trouvais intéressant qu’on puisse les montrer dans un livre. Il y a une image visuelle et puis un lien avec ce côté auditif : mes enfants sont entendants donc je parle en langue des signes mais je peux dire aussi le mot pour qu’ils aient cette éducation bilingue.

Question : Vous avez dû faire un choix parmi les signes que vous utilisez avec vos enfants ?

Virginie Martel : Bien sûr, il y en a plusieurs. Dans le livre, ce sont vraiment les signes que j’utilise avec mes enfants. J’ai des amis qui ont aussi des enfants et à qui je vais dire « ma petite étoile » à un petit qui aime beaucoup le système solaire, en fait j’ai attribué des petits signes affectifs par rapport à mes amis, à leurs enfants et leurs centres d’intérêt.

Question : Votre manière de communiquer votre affection par des signes particuliers, ça a donné envie à d’autres mamans sourdes de le faire, ça a enrichi leur vocabulaire ?

Virginie Martel : Oui, pour sûr ! Je crois que les gens n’avaient pas forcément conscience, je leur demandais « comment tu appelles ton enfant ? », et c’est vrai que ça a permis de faire une espèce de prise de conscience et je me disais que c’est important de montrer qu’on peut. Les gens me disaient « je n’y ai pas vraiment pensé, c’était ‘mon chéri’ ‘ma chérie ». Beaucoup m’ont dit après coup que cela leur avait donné de l’intérêt et surtout une curiosité, qu’ils s’étaient posés la question et s’étaient penchés sur le livre pour réfléchir à ce sujet.


Propos recueillis par Laurent Lejard, février 2016, traduction LSF par Sandra Faure.


Des mains pour dire je t’aime, par Pénélope, Editions Les Grandes Personnes, 13,50€ (en librairies à partir du 18 février).

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