Une femme en « nuisette » d’hôpital parcourt la scène accompagnée d’une perfusion sur trépied, elle raconte sa vie avec la sclérose en plaques, franches tranches de vie parfois ironiques, cyniques, pour faire réfléchir sur ce qu’entraine au quotidien de vivre avec une maladie handicapante évolutive dans un « Spectacle de malaade« …

Question : Qui se cache derrière Double-A ?

Double-A : Anne-Alexandrine Briand, ça explique mon nom de scène ! J’ai 31 ans, je vis avec une sclérose en plaques depuis onze ans, mais également depuis l’enfance avec une maladie génétique orpheline, une dystonie myoclonique qui provoque des troubles d’élocution, des difficultés à la marche. J’ai été avocate pendant cinq ans et puis par la force des choses et mon cheminement j’en suis venu à écrire un spectacle autour de la sclérose en plaques pour la faire connaître au grand public.

Question : Cela veut dire un parcours de vie pas simple, mais un parcours d’enfant et d’adolescente classique ?

Double-A : Assez classique, oui. J’ai eu la chance qu’au lycée une association me donne un ordinateur pour prendre les cours en notes, puis à la Fac, mes examens étaient bien organisés en adéquation avec mon handicap. Bizarrement j’ai eu des difficultés lors de l’examen d’entrée à l’école d’avocats de Malakoff [Hauts-de-Seine], où en remettant au doyen la clé USB contenant ma copie, il m’a répondu « mais qu’est-ce que vous faites, vous vous prenez pour qui ? » alors que tout était prévu un an avant ! Heureusement qu’il y avait quelqu’un de l’Administration, mais j’ai fini par dire à ce doyen qu’on ne m’avait jamais traitée comme ça en cinq ans d’études de droit !

Question : Après, vous êtes passée par toutes les tâches ingrates en cabinet ?

Double-A :
 À peu près mais, pendant le stage, on m’a donné au bout de trois mois des exercices intéressants à faire. Une fois que j’ai fait la preuve de mes capacités, on m’a intégrée tout en connaissant mes handicaps, ça s’est très bien passé, j’étais passionnée par le droit du travail et de la Sécurité Sociale. Le cabinet était très compréhensif, si bien qu’à la fin j’ai travaillé à mi-temps, avec un jour de télétravail par semaine parce que la fatigue était trop importante. Je faisais surtout du conseil aux clients, j’ai arrêté il y a un an.

Question : Quel a été ce cheminement ? Il faut des revenus pour vivre : vous accédez à une profession difficile où il y a de la concurrence, et vous abandonnez ?

Double-A : J’ai eu la chance de travailler dans un important cabinet où j’étais bien payée. Mais au bout de deux ans, j’ai subi un changement de traitement par rapport à la sclérose en plaques, ma santé a commencé à vaciller, au lieu d’une poussée par an j’en faisais trois-quatre, j’ai fait une septicémie qui a failli m’emporter ! C’est ça le déclic : quand je me suis réveillée, j’ai vu les yeux de mes proches, de l’équipe médicale, leur peur de me voir partir, et je me suis dit « t’adores ton travail mais est-ce que c’est vraiment ça qui te fait vibrer ? Est-ce que pour ta santé c’est bien raisonnable? ». J’ai fait mon chemin, écrit un premier sketch en 2015 et comme mon mari [producteur de spectacles] organise un concours d’humoristes, j’ai participé en me disant qu’on peut faire rire ses amis et ses proches, mais faire rire le public avec un sujet aussi délicat que la sclérose en plaques…

Question : Ce sketch a été testé, vous en avez écrit d’autres, et finalement un spectacle, en combien de temps ?

Double-A : C’est un parcours d’un an et demi. J’ai créé un personnage, pour que ça ne soit pas trop « moi et ma psychothérapie » sur scène. J’y ai mis mon expérience de la maladie, des gens, des situations absurdes et véridiques. Quand j’ai dit un jour à un drogué en manque que j’avais une maladie grave, la sclérose en plaques, il est parti en courant alors qu’il était en train d’agresser mon mari ! Il y a des gens qui pensent qu’on peut attraper la sclérose en plaques en parlant avec une personne malade. Je tourne ça de manière humoristique, il y a toujours un message derrière le rire. J’évoque les symptômes invisibles, les troubles neurologiques, sexuels, la fatigue invalidante, le sport, nos petits niveaux, le dépassement de soi. Je prends des réflexions à contresens, « toi t’as encore tes jambes », c’est très blessant sur le coup mais je les tourne autrement dans mon spectacle « oui, je profite de la carte d’invalidité, je tire profit de mon handicap et de la maladie ». Mon personnage est cynique, sardonique.

Question : La maladie complique la capacité à jouer et programmer vos spectacles ?

Double-A : Je joue à des dates ponctuelles, en fonction de la fatigue. On tient compte du risque de stress. Mais on pense faire le festival d’Avignon en juillet 2018, quelques jours chaque semaine pour ménager des périodes de repos. Je suis soutenue par la Ligue française contre la sclérose en plaques, pour parler de la maladie sous un autre angle, même mordant. Pour l’instant, personne n’est venu me dire « tu vas trop loin »…

Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2017.


« Spectacle de malaade » au Théâtre de Ménilmontant le 26 octobre à 20h30. Autres dates à surveiller sur Facebook, notamment à Bourges (Cher) et Montréal (Canada) cet automne, et en juillet 2018 à Avignon Off.

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