Cela devient habituel, une nouvelle loi de réforme oublie peu ou prou les besoins des personnes handicapées. En quelques semaines, après l’orientation des étudiants, la formation professionnelle et l’apprentissage, c’est maintenant le tour du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes déposée par la secrétaire d’Etat chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa. Etonnant, alors que les femmes handicapées subissent davantage d’agressions et violences sexuelles, victimes de prédateurs qui comptent sur leur vulnérabilité. Si toutes sont potentiellement concernées, c’est particulièrement le cas des femmes handicapées mentales du fait de leur difficulté à exprimer ce qu’elles ont vécu, et de la nette tendance des autorités (police, gendarmerie, justice, mais également direction d’établissements médico-sociaux) à ne pas les croire. Elles affabuleraient, fantasmeraient l’acte qu’elles prétendent avoir subi, toutes explications qui maintiennent fréquemment les agresseurs dans l’impunité et encouragent leur récidive. Sans oublier l’omerta qui règne spécifiquement sur le secteur médico-social.

Silence qui pèse également sur les victimes, faute de pouvoir interpréter et exprimer la violence subie, comme c’est le cas pour la plupart des femmes autistes. « Le traumatisme est tel que les personnes autistes font comme si les faits n’avaient pas eu lieu, explique Anne-Françoise Bourseul, psychologue au Centre Régional Autisme d’Ile-de-France (CRAIF). Souvent, il leur faut beaucoup de temps pour comprendre et décrypter ce qui est de l’ordre du normal ou du pas normal. Elles sont en difficulté pour lire les intentions de l’autre : par exemple, une invitation à aller prendre un verre qu’elles n’interprètent pas spontanément comme une proposition sexuelle. » L’Association francophone de femmes autistes (AFFA) estime à 90% la part des femmes qui ont témoigné avoir subi une agression sexuelle, chiffre qu’Anne-Françoise Bourseul cite avec précaution faute d’enquête de terrain : « Je ne peux pas l’objectiver. Mais la même situation est subie par les hommes pour les mêmes raisons : naïveté, objectivation impossible. » Côté solution, elle privilégie l’information des jeunes autistes sur le risque sexuel, ce que l’on peut ou pas accepter. « L’éducation nationale ne propose pas toujours de l’éducation sexuelle, et elle est encore moins dispensée dans les établissements médico-sociaux. Certains jeunes sont très vulnérables et vont chercher de l’information sur Internet, avec le risque de tomber sur la pornographie et la pédophilie. »

Outre la difficulté particulière à interpréter une situation, Marie Rabatel, présidente de l’AFFA, relève une autre spécificité : « Une personne autiste vit des périodes où elle a des difficultés à s’affirmer. C’est un reste de la position de soumission résultant de l’éducation dans l’enfance : on apprend sans arrêt à apprendre, avec le sentiment d’être dans une position de soumission. On le voit dans les établissements médico-sociaux où on apprend à être de bons petits soldats : se lever, se laver, déjeuner, etc. En institution, l’éducateur commande, on peut nous faire n’importe quoi sans qu’on nous croie. » Ce qui bat en brèche la notion de consentement sexuel définie actuellement par la loi et qui n’est pas fondamentalement amendée par la proposition de loi Schiappa. D’autant qu’un autre problème se pose, communiquer avec les autorités policières en cas d’agression : « Pour les personnes sourdes, il existe des interprètes en langue des signes, reprend Marie Rabatel. Pour les enfants, une procédure spécifique avec enregistrement vidéo. Mais il n’y a personne pour les femmes autistes, pas d’interface humaine. Pour elles, la notion de consentement est difficile à comprendre parce qu’elle est abstraite : au niveau intellectuel, je comprends, mais en pratique je suis démunie. » Si dans le projet de loi Schiappa l’agression sexuelle d’une « personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur » sera plus lourdement sanctionnée, rien n’est prévu pour ces victimes particulièrement vulnérables en terme de recueil de leur parole et traitement du psychotraumatisme qui en résultera. Cette loi n’est que répressive, elle ne prévient ni ne soigne.

Autre question sans réponse, la majorité sexuelle : relevé à 15 ans, l’âge en-deçà duquel il y a présomption de non-consentement sera assorti d’une exception si l’auteur de l’acte sexuel démontre le consentement de la victime. « Il faudra donc toujours démontrer le défaut de consentement d’un mineur ou d’une personne vulnérable, estime l’association Femmes pour le Dire Femmes pour Agir (FDFA) dans une prise de position. L’âge fixé à 15 ans est-il pertinent pour des femmes handicapées mentales, voire psychiques ? La difficulté va être, pour les juges, d’apprécier le ‘discernement’ et/ou la ‘maturité’ d’un point du vue légal [Dans ce texte, il] n’est aucunement indiqué que le manque de ‘discernement’ ou de ‘maturité » puisse résulter directement de la situation de handicap. Ainsi, cette situation ne permet pas de faciliter la preuve de la vulnérabilité. » FDFA va écrire aux ministres concernées (justice, droits des femmes, personnes handicapées) pour leur demander « de prendre en compte plus spécifiquement les violences sexistes et sexuelles à l’encontre des femmes handicapées. » Toutes lacunes que devront combler les parlementaires lors de l’examen du texte, dans le courant du printemps. « Les viols et agressions sexuelles sur personnes vulnérables sont déjà plus lourdement sanctionnées par la justice, estime le cabinet de la secrétaire d’État. Et le texte sera complété par amendement gouvernemental lors des débats. » Pourquoi donc ne pas l’avoir fait avant ?

Laurent Lejard, avril 2018.

Partagez !