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Les
femmes handicapées sont considérées plus vulnérables et victimes
de violences, notamment sexuelles, que les autres. Mais quelle
est l'ampleur du phénomène ? Aucune étude ne vient préciser cette
perception, seul demeure cité le propos ancien (2004) de la sociologue
Lydia La Rivière : "Au travers de travaux de recherche aux Pays-Bas,
Autriche, Allemagne, Royaume-Uni, Suède et récemment en Espagne,
il a été prouvé que près de 80% de femmes handicapées sont devenues
victimes de formes variées de violence sexuelle" (lire l'actualité
du 25
novembre 2015). Une table-ronde organisée le 6 décembre dernier
par la Délégation
aux droits des femmes du Sénat a permis d'y voir un peu plus clair,
tout en mettant en évidence le besoin crucial de disposer de données
sur un phénomène inquiétant : abuser de la plus grande vulnérabilité
des femmes handicapées.
Ce propos de "quatre femmes handicapées sur cinq, victimes de
violences sexuelles" a été repris dans son introduction par la
sénatrice Annick Billon, présidente de cette Délégation, qui s'est
par ailleurs félicitée de l'article 4 de la loi du 3
août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles
et sexistes qui instaure "des actions de sensibilisation, de prévention
et de formation concernant les violences, notamment sexuelles,
à destination des professionnels et des personnes en situation
de handicap ainsi que de leurs aidants." Une disposition qui,
avec une autre concernant les établissements médico-sociaux, avait
été ajoutée par amendements de députés de la majorité pourtant
rejetés
en séance par la secrétaire d'Etat chargée de l'égalité entre
les femmes et les hommes, Marlène Schiappa : "Ces dispositions
n'ont pas leur place dans ce projet de loi spécifique, mais elles
pourraient s'inscrire dans le cadre plus global d'un projet de
loi de la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées,
Sophie Cluzel", avait-elle clamé à l'Assemblée Nationale (lire
l'actualité du 22
mai 2018). Les violences sexuelles faites aux femmes handicapées
ne seraient donc que de la compétence de sa collègue chargée des
personnes handicapées, et d'ailleurs Marlène Schiappa ne participait
pas à la table-ronde du 6 décembre au Sénat...
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L'expression de la secrétaire d'État aux personnes
handicapées, Sophie Cluzel, était donc attendue, pour apprécier
les volontés gouvernementales dans ce domaine. Son propos ? Lutter
contre les stéréotypes de genre dès l'école, les disparités de
filières dans l'éducation et les études supérieures, former les
professionnels qui travaillent au contact de personnes handicapées,
toutes affirmations déjà entendues maintes fois et demeurant en
attente de mise en oeuvre. Une proposition toutefois, intégrer
les associations spécialisées à l'annuaire numérique national.
Mais tout cela figurait déjà dans le 5e plan de mobilisation
et de lutte contre les violences (2017-2019) lancé en 2016 par
le précédent Gouvernement qui n'a connu aucune application dans
le champ du handicap. Seul annonce tangible, la production courant
2019 d'un outil pédagogique à destination des professionnels en
EMS, plus l'expression du besoin d'une enquête épidémio-sociologique
sur les violences subies par les femmes handicapées. Une telle
enquête était prévue en 2018 par le 5e plan, elle n'a pas été
lancée : le sera-t-elle enfin ?
Responsable de l'Observatoire
départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes,
Ernestine Ronai est, elle, entrée dans le vif du sujet : "Pour
les femmes handicapées, nous pouvons parler de maltraitance mais
aussi de violence. Dans la pensée collective, il y a une tolérance
sociale des viols sur des femmes handicapées. Nous manquons de
statistiques pour appréhender le réel." Lorsqu'elle coordonnait
la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes
de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF),
elle avait suivi un groupe de travail visant à dresser un état
des lieux des violences faites aux femmes handicapées.
Il a relevé 179 appels de femmes sourdes victimes d'actes de violence
qui ont appelé le numéro d'urgence 114.
Pour le 3919
Violences Femmes Info (lire cet
article), sur 18.613 appels de femmes signalant des violences,
115 se déclaraient handicapées ou invalides, dont 57 affirmant
que leur handicap était le résultat de violences subies.
Peu de données également au sein de l'association Femmes pour
le Dire Femmes pour Agir (FDFA).
Son service d'écoute a reçu 1.177 appels en 2017 conduisant à
l'ouverture de 16 dossiers en moyenne mensuelle. 71% des violences
relatées sont psychiques, 44% physiques. Elles concernent le couple
dans 35% des cas, les professionnels dans 20% et le voisinage
pour 15%. "Plus de la moitié des appelantes sont handicapées psychiques,
a précisé sa présidente, Brigitte Bricout. La moitié des femmes
handicapées sont sans emploi, dépendent des revenus du conjoint."
Aucune femme handicapée mentale ni habitant en zone rurale, uniquement
des femmes vivant en ville, pour moitié en Ile-de-France. "On
doit aller plus loin sur la connaissance, a-t-elle concédé. Qui
agresse ? Supporter un handicap, pour la famille, pour le conjoint,
c'est compliqué. Ils sont souvent seuls." Brigitte Bricout estime
qu'il y a tout à faire pour mettre en oeuvre la loi sur les violences
sexuelles et sexistes, dont un plan d'action, des échéances.
Quand la connaissance des violences infligées aux femmes handicapées
sera mieux connue, il deviendra possible d'agir pour les prévenir,
et les réprimer au besoin. Et il y a du travail, comme en témoigne
un arrêt de la Cour d'Assises des Mineurs de l'Aveyron rendu le
16 novembre dernier : elle a acquitté un jeune homme qui, en 2009
alors qu'il était âgé de 17 ans, était accusé d'avoir violé une
adolescente handicapée mentale de 13 ans. Le Procureur de la République
a fait appel de cet acquittement mais n'a pas souhaité communiquer
l'arrêt de la Cour ce qui aurait permis d'en apprécier les motivations
puisque la question du consentement était en débat. Au-delà de
ce cas d'espèce, cette décision pose la question de ce que peut
être le consentement à l'acte sexuel d'une adolescente ou d'une
jeune femme handicapée mentale.
Présidente de l'Association Francophone des Femmes
Autistes, Marie Rabatel explique (par mél) que "la question
serait de savoir à quel âge un adolescent a une maturité affective
suffisante lui permettant de déterminer s'il est assez mûr pour
s'en remettre à l'autre afin de découvrir 'le plaisir des corps'.
Tout est basé sur le lâcher prise de s'en remettre à l'autre qui
peut-être biaisé par une confiance donnée sans comprendre la réelle
intention de l'autre." Et pour ce qui concerne des jeunes handicapés,
elle est encore plus circonspecte : "Dans le cas d'une jeune fille
de 13 ans ayant une déficience mentale, elle aura un décalage
beaucoup plus prononcé entre ce qu'elle souhaite ou imagine et
ce qui va se produire lors d'une relation sexuelle. Je parlerai
davantage de difficulté à exprimer le non-consentement. La non
prise en compte de ces paramètres augmente considérablement la
vulnérabilité en lien avec son fonctionnement cognitif. Généralement,
une jeune fille de 13 ans sera en recherche du 'Prince Charmant'
plutôt que dans la recherche d'une pénétration sexuelle." Et elle
rappelle que le jeune âge n'est qu'un élément de la question :
"La notion de vulnérabilité en lien avec son handicap est un facteur
à ne pas négliger, indépendant de l'âge. Refuser de voir le décalage
entre l'âge et une jeune fille avec un handicap invisible (qu'il
soit mental, psychique, autisme, déficience intellectuelle, etc.),
c'est laisser la porte ouverte à l'impunité des viols que peuvent
subir ces filles ou ces femmes."
Peut-on discuter du principe du consentement à l'acte sexuel chez
une adolescente de 13 ans handicapée mentale ? "Sur le principe
sûrement pas, répond Ernestine Ronai interrogée en marge de la
table-ronde. On considère que la contrainte résulte déjà de l'écart
d'âge, un adulte, une mineure. Et deuxièmement du fait de la vulnérabilité
de la personne handicapée mentale : est-elle en capacité de donner
un consentement libre et éclairé ? Probablement dans cette affaire,
non, parce que quand quelqu'un de plus âgé, en bonne condition
physique étant lui-même en position d'autorité, évidemment il
est impossible qu'elle puisse dire non. C'est la contrainte qu'il
fallait retenir, dans un état de vulnérabilité double, le handicap
mental et l'âge." La question épineuse du consentement à l'acte
sexuel avait animé au printemps dernier le débat parlementaire
sur la loi relative aux violences sexistes et sexuelles, mais
finalement la fixation d'un âge minimum a été écartée. Ni les
organisations féministes, ni Marlène Schiappa, ni Sophie Cluzel
ne souhaitent s'exprimer sur le délicat sujet du consentement
des femmes - mais également des hommes - à l'acte sexuel, pas
même l'Unapei ! Depuis 2008, le nombre de plaintes pour agressions
et viols n'a cessé d'augmenter et les condamnations de baisser
: les agresseurs qui invoquent systématiquement le consentement
de leur victime handicapée ont encore de belles années d'impunité
devant eux...
Laurent Lejard, décembre
2018.
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