« Tout est possible, il suffit de s’en donner les moyens. » Tel est le credo de Patricia Gros Micol, lauréate 2018 du trophée Femmes en Entreprises Adaptées organisé chaque année par Handiréseau. Et elle le prouve en dirigeant depuis huit ans la société de services aux entreprises Handishare qui réalise des prestations d’assistance aux fonctions supports, notamment en RH et en achats. Une société sous statut d’Entreprise Adaptée dans laquelle elle déploie une éthique basée sur l’humain : « On recrute sur le savoir être et l’envie de faire, les aptitudes et pas les compétences. Nos salariés en totale reconversion professionnelle, montent progressivement en compétences. » Si la patronne d’Handishare n’emploie quasiment que des personnes handicapées, c’est en partie parce qu’elle est personnellement concernée : un accident ferroviaire à l’adolescence la contraint à subir des séquelles permanentes douloureuses au dos et aux cervicales, qu’elle ne peut traiter par des médicaments du fait de maladies auto-immunes. Cela l’a conduite à se faire reconnaitre travailleur handicapé, mais en se gardant d’en informer ses employeurs successifs par crainte d’une placardisation. « J’ai connu trois fois le chômage. La gestion des personnels dans les sociétés américaines, c’était très violent, on pouvait être licencié dans l’instant. Et ça continue comme ça aujourd’hui. » Son expérience des grandes entreprises lui a fait connaitre le meilleur et le pire, elle y a rencontré des cadres dirigeants humains, ouverts aux autres, et d’autres qu’il vaut mieux ne pas qualifier : « Cela m’a permis de lancer mon entreprise grâce aux connaissances techniques que j’ai acquises, mais en matière de management, j’ai construit ma propre feuille de route. Dans les boites américaines, c’était très masculin. Chez Black & Decker par exemple, ça les embêtait de me donner le statut cadre, j’en ai bavé avec les hommes et leurs stéréotypes ! » Un machisme érigé en culture d’entreprise, bien que ses compétences professionnelles soient reconnues. Machisme et phallocratie exacerbés dans les stages « incentive » avec beuverie sans fin et droit de cuissage…

Parce que l’éthique, ce respect des valeurs qui font humanité, guide l’action de Patricia Gros Micol : « On préfère travailler avec des entreprises en phase avec nos valeurs. Un jour, un client m’a dit ‘vous allez nous faire un devis et vous ne serez pas au dessus de 10€ de l’heure parce que vous employez des handicapés’. Et ça pour ne plus être à quota zéro et faire un gain financier substantiel. » Elle a refusé parce qu’elle n’emploie pas des « handicapés » mais des personnes avant tout, privilégiant un développement maitrisé à la chasse au chiffre d’affaires à tout prix. Une volonté qui trouve sa source dans son histoire professionnelle « d’avant ». Elle a eu son premier enfant à l’âge de 25 ans, suscitant la réprobation de son patron : « J’espère que c’est un accident, lui a-t-il reproché ! Le prochain, c’est pas avant 4 ans ! » A l’époque, elle habitait à Lyon et travaillait à Roanne, avec des horaires de cadre et 80 kilomètres matin et soir sur des petites routes alors qu’elle était enceinte. Et un cadeau spécial de naissance : « En revenant de maternité, la directrice des ressources humaines m’a annoncé que mon poste était supprimé. » Sans prendre la peine de l’avoir informée au préalable. « Je ne sais pas si c’est la féminité ou plutôt l’être humain dans son intégralité qui est nié. Des dirigeants sont convaincus, humains dans des grands groupes comme de petites sociétés. C’est du cas par cas, en fonction du dirigeant. »

Elle a également subi la disparité salariale, au prétexte qu’elle avait commencé à travailler à 22 ans, plus tôt que ses collègues masculins. « J’avais un salaire inférieur, alors que j’étais plus qualifiée que bon nombre d’entre eux, une situation mal vécue. » Chez Handishare, elle est vigilante à l’égalité homme-femme : « Les compétences complémentaires sont une vraie richesse, au foyer y compris. » Parce que si son mari a également une vie très active, c’est ensemble qu’ils ont élevé leurs enfants et assument les tâches ménagères en fonction de leur disponibilité. « C’est une logique de bonne écolière, faire ce que je dis. J’ai eu la confiance des financeurs sur mes projets, par mon approche féminine qui a rassuré. Le handicap, je n’en ai jamais parlé. On est d’ailleurs obligé de sensibiliser nos clients parce qu’ils ne le voient pas auprès de nos salariés. » Le handicap est souvent invisible aux yeux des gens qui ne savent pas.

Ce qui la préoccupe actuellement, c’est le devenir des Entreprises Adaptées, menacées de disparition l’an dernier et qui ont dû accepter un plan de doublement des emplois assorti d’une forte baisse des aides de l’Etat (lire l’actualité du 12 juillet 2018). A cet égard, Patricia Gros Micol se remémore une discussion avec la ministre du travail, Muriel Pénicaud : « Elle m’expliquait que l’aide de l’Etat représentait 80% du budget de l’entreprise adaptée, alors qu’elle n’en représente que 20%. La ministre assure que c’est 80% parce qu’elle ne voit que l’aide au poste, sans les charges, les salaires supérieurs au SMIC, les frais, etc. » Cette logique budgétaire accompagnée d’une méconnaissance totale des réalités des Entreprises Adaptées a failli entrainer leur perte : « Le Gouvernement a imposé le doublement des emplois avec moins de rentabilité et un pourcentage de travailleurs handicapés moindre. » Il pourra descendre à 55% de l’effectif total, bien que les ministres ne cessent d’affirmer que le Gouvernement va créer 40.000 emplois dans les Entreprises Adaptées.

Forte de 33 ans d’activité professionnelle, Patricia Gros Micol conduit également une action éducative à Madagascar dans laquelle elle implique les employés d’Handishare : financement, par la publication de deux livres de photographies sur le pays, de la construction de neuf écoles pour plus de 1.000 enfants. « Ils ont participé à la création de supports pédagogiques, ont travaillé dans des commissions thématiques qui leur ont également permis de monter en compétence. Une quinzaine d’entre eux est allée sur place, pour conjuguer handicap, compétences et dépassement de soi. » Une action montée pendant deux ans, pour trouver les financements nécessaires. C’est vrai, tout est possible, il suffit de s’en donner les moyens…

Laurent Lejard, novembre 2019.

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