Regardez Laurence nous rejoindre : elle avance d’un pas assuré et ses yeux scrutent attentivement les environs. Car depuis toujours, elle n’a que ses yeux pour entendre, pour repérer les voitures et autres dangers qui guettent les habitants des grandes agglomérations.

Ses parents vivaient au Brésil quand elle est née. Nous sommes alors en 1965, à Belem au nord du pays. La naissance est difficile et sa mère découvre rapidement l’hémiplégie puis la profonde surdité de sa petite fille. La famille assume, non sans peine mais avec résignation, sans dramatiser. Et tous les étés, quand ses parents viennent en vacances en France, ils amènent Laurence chez une excellente orthophoniste qui lui apprend à parler. Quand vient la fin des vacances, qu’il est temps de retourner au Brésil, l’orthophoniste communique un programme d’exercices que Laurence réalisera pendant l’année avec sa maman. Pour ses cinq ans, ses parents décident de revenir en France afin qu’elle soit scolarisée dans un établissement spécialisé, au SIPSA d’abord puis au Cours Morvan. Laurence restera dans ce circuit spécialisé jusqu’à l’obtention de son baccalauréat. Sourde parmi les sourds.

Il n’y a qu’à la maison qu’elle rencontre quelques entendants : la famille et les amis de son grand frère avec lesquels elle oralise tant qu’elle peut. Son élocution n’est pas toujours claire pour qui ne la connaît pas bien, mais Laurence est tellement inscrite dans un processus de communication qu’elle crée des liens avec bien des amis. Son sourire, son dynamisme, sa bienveillance et sa spontanéité sont toujours là, au service de son entourage. Comme Laurence est confiante dans la vie, elle inspire à son tour une grande confiance. Bachelière sans vocation précise, elle hésite entre plusieurs directions, et s’inscrit finalement en fac d’Histoire, à l’Université Paris VII à Jussieu. « Au début, quand je disais que j’étais sourde, je me suis aperçue que bien des étudiants s’enfuyaient. Alors j’ai décidé de dire que je n’entendais pas et qu’il fallait que je voie pour entendre ! Cela passait beaucoup mieux. Je suis restée 5 ans à la fac, grâce à l’aide de mon père qui transcrivait mes cours enregistrés. C’étaient mes cinq premières années dans le monde des entendants, un monde que je ne connaissais pas du tout, que je découvrais ».

Laurence décroche alors une maîtrise d’histoire avec un mémoire sur les explorateurs français en Afrique. « C’est dans cette période que j’ai rencontré plusieurs étudiants sourds et participé avec eux, en 1989, à la création de la première association des étudiants sourds et malentendants (AESM), afin de créer une solidarité et de lutter contre la solitude et les difficultés que rencontrent les personnes sourdes à l’Université. C’est en qualité de secrétaire de l’AESM que j’ai rencontré Philippe Féret, alors élève- ingénieur, d’où ma participation à son site internet, Visuf, grand forum des personnes concernées par la surdité ou la malentendance ».

Sa Maîtrise d’Histoire en poche, Laurence ne sait quelle carrière embrasser : documentaliste, bibliothécaire, professeur ? Elle tente d’obtenir le CAPEJS (Certificat d’Aptitude Professionnelle à l’Enseignement aux Jeunes Sourds) mais échoue. Elle assure alors des remplacements d’éducatrice au CEOP (Centre Expérimental Orthophonique et Pédagogique) avant de rentrer à l’école de formation en psycho- pédagogie pour devenir éducatrice spécialisée. Au programme : trois ans de formation pour les personnes entendantes… mais quatre pour les étudiants sourds et malentendants !

Laurence n’est pas amère. « Je suis devenue philosophe », dit- elle. Les obstacles, les difficultés, les routes barrées et les portes fermées n’ont pas entamé son sourire, toujours aussi sincère. Elle ne sait rien de ce que l’avenir professionnel et personnel lui réserve mais elle est prête à tout envisager. Pour l’instant, elle se concentre sur ses cours et sur l’association humanitaire qu’elle vient de fonder avec une équipe de personnes sourdes et entendantes : Le comité Tiers- Monde Sourd, pour tenter un rapprochement et une solidarité entre sourds de France et sourds de la République du Congo (ex Congo- Brazzaville). Pour commencer…

Véronique Gaudeul, mai 2001

Comité « Tiers-monde Sourd « , Aumônerie régionale des Sourds d’Ile de France, 252 rue Saint Jacques, 75005 Paris, tél : 01 43 26 05 30, fax : 01 46 34 43 60 ou 01 46 45 38 79

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