Muriel vit dans un petit village de l’Ariège, près de Foix. Une centaine d’habitants qui considèrent encore qu’une personne handicapée physique est invisible. « Je suis très timide, confesse Muriel Bru, sûrement que je n’ai pas fait assez d’effort. Mais le handicap est un objet de honte dans les campagnes ». Née avec un spina bifida, l’autonomie de Muriel Bru se réduit d’année en année. Elle se déplace avec des béquilles et parfois sur fauteuil roulant. Il s’est ajouté à ce handicap moteur une insuffisance rénale ayant nécessité des dialyses douloureuses, une première greffe de rein qui n’a pas tenu, puis une seconde qui fonctionne bien. « J’ai travaillé tout le temps, depuis mes vingt ans. Mes parents avaient une scierie dont j’ai poursuivi l’exploitation. Elle a été liquidée il y a cinq ans du fait d’un gestionnaire peu scrupuleux ». Au terme d’un long parcours judiciaire, Muriel Bru a obtenu de pouvoir reprendre cette activité : « La scierie ne reprendra pas, je ne maintiendrai que le négoce de bois de qualité. Il y a de la demande et notre entreprise avait une bonne réputation dans ce domaine. Le travail m’a fait oublier ma solitude ». Une solitude forcée, imposée, notamment par ce monsieur qui lui disait : « toi, avoir un homme, tu n’y penses pas ! ». « Je n’intériorise pas, précise Muriel Bru, ses propos m’ont donné de la haine. On me voit parfois comme une pestiférée, pas comme une femme à part entière ». Ces péripéties et sa vie, Muriel Bru a décidé de les raconter sur une vingtaine de pages formant un site Internet au nom évocateur: cestmavie.com.

« Le site a changé ma vie. Internet m’ouvre un monde que je ne serais pas allé chercher toute seule. J’envisageais de me suicider, ou de faire ce site; mon signe astral – taureau – a dû faire pencher la balance du bon côté, s’amuse Muriel. Du jour où les pages ont été mises en ligne, j’ai pu parler avec des gens, me confier, alors qu’avant je n’avais personne. Je devais subir et me taire ». Désormais, Muriel est optimiste : « C’est une nouvelle vie; j’essaie de tourner la page de la précédente, c’est vital. J’ai retrouvé de la sérénité ». Avec ses nouveaux amis « internetiques », elle a récemment passé quelques jours de rêve à Montauban, assistant notamment à un concert du groupe de chanteurs corses I Muvrini. Et elle s’est fixé l’objectif de remonter, vint ans après, au sommet de Montségur, dès la fin de la saison touristique, pour voir à nouveau les ruines de ce château cathare mythique. Parce que Montségur est un symbole de la résistance à l’oppression. Pour oublier une bonne fois pour toutes tous ceux qui ont contribué à gâcher sa vie, à lui fixer des limites, à la ranger dans la case « handicap » dont elle ne devait ni sortir ni se plaindre. Pour vivre sa vie de femme comme elle le veut.

Laurent Lejard, juin 2003.

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