Hamid, 16 ans, a connu l’école ordinaire. Il est entré à l’établissement au niveau du CM2, alors qu’il commençait à avoir des difficultés à suivre les activités des enfants valides. Il raconte : « je marchais avant, je faisais plus de choses. Je vis chez mes parents dans un grand appartement accessible, le cinéma ne l’est pas ! Je suis rentré en rupture scolaire jusqu’à ce que j’aie pu accéder à l’ordinateur. Le parcours n’a pas été facile : on a essayé la synthèse vocale, puis le clavier sur écran, grâce auquel, aujourd’hui, je fais de la création graphique, recherche des documents sur le web, fait de la Pao. En dehors du Centre et de la maison, les transports sont inaccessibles, je ne peux pas sortir seul et il faut toujours une voiture ».

Charles, 17 ans et demi, est ici depuis une dizaine d’années. « Dans l’établissement, j’ai appris à me sentir mieux; avant j’étais agressif avec tout le monde. J’ai marché. Avant, c’était plus simple. On habite en pavillon. Mes parents ont un véhicule adapté, avec une rampe à l’arrière ». Charles aime bien le cinéma. « Si on veut aller au ciné, on se renseigne avant, parfois on ne trouve pas de place pour garer la voiture : les places réservées sont occupées par des valides. Parfois, ça nous oblige à repartir. Après, on cherche le chemin adapté au fauteuil, on fait la queue comme tout le monde. Je voudrais être regardé comme les autres, alors que les gens voient le fauteuil de manière différente. Souvent, on parle à la personne qui m’accompagne, mais pas à moi ».

Aminata, 15 ans, depuis huit ans élève de l’établissement. Elle était à l’école ordinaire avant. Sa maladie évolutive la rend dépendante d’une assistance respiratoire et l’oblige à utiliser un fauteuil roulant électrique. « Chez moi, je suis limitée dans mes activités, l’appartement est trop petit. Je suis dépendante pour mes sorties, je n’ai jamais d’argent sur moi. Mes parents ne veulent pas que je sorte, pour me préserver ».

Mais pour Alain, 16 ans, la vie est différente ; il est souvent dehors, pour s’amuser, pour draguer dit- il. « Mes copains m’appellent tout le temps. Mes frères et ma soeur s’occupent de moi, ma mère travaille. Je vais au ciné parfois, la plupart du temps je reste dans la cité avec les copains. Les gens m’aident quand je prends le tram, parfois ils me regardent ». L’accessibilité du tram qui relie Bobigny à Saint- Denis lui permet de se rendre facilement dans ces deux villes mais les transports sont limités. « On peut accéder à la ligne E du RER dans Paris, mais dès qu’on en sort, on ne peut pas quitter les stations, elles n’ont pas été aménagées ».

Pour Frédéric, 18 ans, « les gens sont bêtes, ils me regardent bizarrement, ils parlent entre eux. On voudrait être regardé comme des gens normaux ». Malgré une certaine souffrance, suite aux multiples opérations chirurgicales récentes qui lui ont enlevé « sa » marche en grande partie qu’il récupérera après une rééducation, Frédéric était d’accord avec le chirurgien. « Je regarde beaucoup de vidéos chez moi, je voudrais devenir vendeur. Je suis passionné de foot, je regarde les matches, mais je ne suis jamais allé au stade. Mon père est footballeur amateur mais ne m’y a jamais emmené ». Frédéric est discret, il ne me demande jamais rien, n’exprime pas ses désirs.

Entre indifférence et résignation. L’indifférence, les jeunes la ressentent fortement. Lors du Téléthon 2000, à la différence des éditions précédentes, les vedettes n’ont eu aucun contact avec les ados, passant loin d’eux, les coulisses étant interdites d’accès. Plus récemment, ils voulaient faire venir Jamel (Debouze) au Centre : ils apprécient son humour. Contacts avec son agent, messages répétés sur un répondeur téléphonique, jamais de réponse. Ils auraient pourtant payé la prestation de Jamel. Verdict des ados : lorsqu’il leur a été proposé d’acheter la cassette vidéo du spectacle de Jamel sur les fonds de la coopérative scolaire, ils ont refusé. La résignation pèse fortement : les difficultés pour se déplacer, la nécessité d’avoir besoin d’aide font renoncer aux désirs. Quel est leur avenir ? Entrer dans une filière classique ou professionnelle et trouver du travail pour quelques- uns, la plupart allant en Centre d’Aide par le Travail ou dans un foyer occupationnel.

Une voie tracée sur laquelle ces adolescents voudraient intervenir, si on voulait bien entendre leur parole…

Laurent Lejard, juin 2001.

Partagez !