De nombreux parents savent que l’intégration de leur enfant handicapé dans l’école de leur quartier peut prendre la forme d’un parcours du combattant. En préambule du forum Unapei consacré aux élections (compte-rendu à lire en Éditorial), deux mamans ont raconté leurs difficultés et celles de leurs petits, similaires à celles de la famille Eyraud. Entre les Commissions de circonscription pédagogique, le dossier et les décisions de la Commission de l’éducation spéciale, l’intervention de l’inspection spécialisée de l’Éducation Nationale, les multiples réunions avec psychologue et médecin scolaire, le recours aux associations pour trouver aide et soutien, la charge de travail des parents est assez considérable et les obstacles mis dans le chemin des enfants, variés.

Ces parents-là comprendront aisément l’exaspération d’une mère qui voit son enfant trisomique grandir alors que l’administration de l’Éducation Nationale, c’est- à- dire des femmes et des hommes théoriquement au service des élèves, des familles, dans la conception républicaine de l’école pour tous, égalitaire, laïque et fraternelle, oppose une volonté affirmée de ne pas l’intégrer. Nadjat Eyraud s’y était pourtant pris tôt, contactant la maternelle de son secteur, Paris 20e sud, bien avant l’admission de son fils, Étienne. Bien lui en a pris, c’est une école de Paris 20e… nord qui accueille Étienne à bras ouverts, en 1995. Pour en arriver là, des recherches obstinées, des refus d’inscription nombreux et ce fameux coup de pouce du hasard, l’orthophoniste d’Étienne qui parle de cette école dans laquelle les enseignants sont heureux d’accueillir des enfants handicapés. Étienne y est scolarisé à mi- temps, les élèves l’adoptent, veulent qu’il reste à la cantine avec eux, il passe à temps plein tranquillement : il a été accueilli de manière positive et ouverte, l’équipe pédagogique a basé la relation entre les bambins sur l’échange et le soutien. D’autres enfants handicapés bénéficient de la même démarche, notamment une fillette sourde : alors, les autres élèves signent pour parler avec elle, et crient beaucoup moins puisqu’elle n’entend pas et ce calme relatif relaxe tout le monde. Une enseignante spécialisée a été envoyée à l’école durant cette période, Nadjat et les autres enseignants attendent encore conseils, outils pédagogiques et évaluation des acquis.

L’entrée en primaire se précise pour Étienne et la belle histoire va s’achever, bien qu’une école l’accepte et qu’un contrat d’intégration soit établi, et que l’enfant ait progressé dans sa socialisation et ses apprentissages. Nous voici en 1999, le plan Handiscol’ est publié, la psychologue scolaire organise une réunion, sans les enseignants, et propose d’orienter Etienne en Institut Médico- Éducatif. Nadjat s’informe, refuse cette orientation, écrit à Ségolène Royal alors secrétaire d’État à l’Intégration Scolaire qui soutient sa demande d’une scolarisation ordinaire pour Étienne avec mise à disposition d’un auxiliaire d’intégration scolaire. L’administration de l’Éducation Nationale ne fera pas droit à la demande de son ministre, bafouant la volonté politique et les ordres écrits de ce dernier. La Commission de l’éducation spéciale refusera la prise en charge du traitement dans le cadre scolaire des troubles associés, notamment locomoteurs, d’Étienne.

Nadjat se bat contre ces monstres froids et déresponsabilisés que sont devenus l’administration de l’Éducation Nationale et les Commissions de l’éducation spéciale, pour son fils mais également en faveur d’autres enfants ainsi maltraités. Parce que même lorsque la justice fait droit à une demande d’intégration, celle- ci n’est pas nécessairement suivie d’effet. C’est la situation vécue par Omar, confiné à dessiner à longueur de journée dans une classe parce que l’enseignant soi- disant spécialisé ne s’en occupe guère.

Alors, face à cette inertie administrative, cette volonté de fonctionnaires de la République de ne pas intégrer les enfants dans les classes en opposant toutes sortes d’arguments techniques ou financiers, qui broient la volonté d’une ministre et femme profondément sincère dans son engagement en faveur des enfants, Nadjat met sa vie en péril : après trois semaines de grève de la faim, elle a perdu plus de 10 kilos et rencontré l’Inspection Académique et le Rectorat de Paris ainsi que le Ministère de l’Éducation Nationale, sans résultat. Pendant que les administrations jouent au ping- pong avec son fils, la vie de Nadjat Eyraud et l’avenir de nombreux enfants handicapés sont en péril.

Laurent Lejard, février 2002.


Des informations complémentaires sont disponibles sur le site d’HanDEIS (Handicap Droit à l’École et à l’Intégration Sociale).

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