« Quand j’aurai 20 ans, je serai grand » a été réalisé par le documentariste Patrick Le Ray. Il a passé un an au sein de l’Institut Médico- Educatif le Baudrier, à Saint- Sulpice- la- Forêt (Ille- et- Vilaine), filmant le quotidien des enfants et des adolescents handicapés mentaux ou polyhandicapés, leurs contrariétés et leurs joies, leurs interrogations et leur espoir quand à leur avenir. 20 ans est un âge charnière pour les jeunes accueillis en établissement spécialisé : pour l’administration, ils deviennent subitement adultes et changent d’organisme de tutelle, passant sous la coupe de la Commission Technique de reclassement Professionnel (Cotorep). L’évolution de leur statut social entraîne également leur départ de l’établissement dans lequel ils vivent : la Cotorep peut les envoyer, rarement, sur le marché du travail ordinaire ou les orienter vers un Centre d’Aide par le Travail (C.A.T), un foyer occupationnel ou une Maison d’Accueil Spécialisé (MAS).
Loin de ces considérations administratives, Patrick Le Ray relate les désirs des jeunes qu’il a rencontrés. Avec l’argent qu’elle gagnera par son travail, Manuela achètera « des C.D, une télévision, des parfums ». Elle prendra aussi soin de sa mère. Soizic se prépare au travail en cherchant un stage en C.A.T; une éducatrice lui apprend à utiliser le bus pour se rendre dans cet établissement dont l’ambiance de travail apparaît sinistre. Elle le visite, à son retour à l’I.M.E elle s’amuse de ce qu’on ne lui a même pas offert un café.
Autre épisode, les jeunes du Baudrier reçoivent la visite d’un ancien pensionnaire, Stéphane, qui arrive au volant d’une voiture sans permis flambant neuve. Il a un téléphone mobile, il parle aisément de son plaisir de vivre du fruit de son travail en C.A.T, mais il habite toujours chez ses parents. Un autre ancien pensionnaire, Jean- Claude, approche la quarantaine : il jalouse un peu l’indépendance de ses soeurs qui ont « fait leur vie » alors que lui réside toujours chez ses parents : « ils s’inquiètent quand je rentre tard, quand je vais à des fêtes dans le foyer occupationnel ». Jean- Claude voudrait vivre de manière indépendante, en étant aidé, accompagné. Un autre Stéphane va bientôt quitter le Baudrier pour intégrer un foyer occupationnel : « ils ont de la place le jour, il faudra que j’habite chez mes parents. Je prendrai le taxi pour aller travailler ». Il aurait voulu intégrer un C.A.T mais les cadences de production ne lui permettraient pas de tenir.
Patrick Le Ray estime que l’âge de 20 ans est en décalage de 5 à 10 ans par rapport aux valides chez les adolescents qu’il a rencontrés, même s’ils sont très lucides et interrogatifs : « Ce que vivent ces jeunes n’est pas fondamentalement différent des autres, confrontés à la recherche d’un travail ou d’un logement. Mais ils ont beaucoup plus de difficultés à faire face du fait de leur handicap mental ou de leur polyhandicap. De plus, la plupart sont illettrés ». Le réalisateur a été témoin d’un épisode qui se déroule quelques jours avant la fin de l’année scolaire : le matin même de la fête de l’établissement, le directeur apprend que la Préfecture d’Ille- et- Vilaine gèle les 19 nouvelles place de C.A.T qui devaient être créées pour la rentrée suivante. Les jeunes sortant du Baudrier se retrouvent brutalement sans solution.
« Le problème économique les touche mais ils ne sont pas laissés pour compte, précise Patrick Le Ray. Le Baudrier dépend de l’Adapei, ses dirigeants sont aussi des militants, ils ont trouvé des solutions provisoires. Les jeunes ont été accueillis dans un hangar qu’ils ont progressivement aménagé avec peu de moyens. Ils ont vécu leur situation comme un échec, ils se retrouvaient sans rien à faire, ils avaient l’impression d’être abandonnés ». Deux ans plus tard, leurs situations ont été favorablement réglées précise François Menez, directeur de l’I.M.E Le Baudrier : « Tous ont maintenant un statut. Mais pour les six jeunes qui vont quitter l’établissement en juin 2004, je n’ai pas de solution à ce jour, je ne sais pas ce qu’ils vont devenir. L’action de Marie- Thérèse Boisseau [la Secrétaire d’Etat aux personnes handicapées est une élue locale d’Ille- et- Vilaine N.D.L.R] a développé l’espoir, et l’an dernier il n’y a pas eu de délai d’attente pour les sortants. Mais le doublement annoncé par Madame Boisseau du nombre de places créées en MAS ne s’est pas traduit dans les faits par des décisions budgétaires et n’a pas été réalisé, les projets que nous avons présentés n’ont pas abouti ».
« 20 ans, ce sont des projets de vie que l’on commence à réécrire, estime la mère d’une ancienne pensionnaire du Baudrier. On redéfinit le projet de vie d’une enfant qui aura toujours une part de dépendance ainsi que la place de la famille autour d’elle ». Pour cette maman, le désir d’une vie indépendante se heurte aux peurs des parents face aux événements de la vie quotidienne : mon enfant saura- t-il se faire à manger, se déplacer en sécurité, ne risque- t-il pas des moqueries voire des actes de violence ? « Nos enfants peuvent avoir la capacité de s’autogérer, mais la peur de l’extérieur prend le pas chez les parents. On est peut- être les principaux responsables en ne donnant pas assez d’autonomie à nos enfants, en les laissant avoir leurs activités, choisir leurs vêtements ou aller seuls au coiffeur ».
Un apprentissage de l’autonomie qui commence souvent au bel âge de 20 ans et que Patrick Le Ray veut relater : il travaille actuellement à une suite de son documentaire, qu’il a provisoirement titré « L’Après 20 ans »…
Laurent Lejard, janvier 2004
Le film documentaire « Quand j’aurai 20 ans, je serai grand » (durée : 75 minutes) a été coproduit et diffusé sur France 3 Ouest. Une copie V.H.S est vendue par ArtScenic Production au prix de 40 Euros (diffusion privée) ou 110 Euros (diffusion publique non commerciale). Patrick Le Ray espère vos commentaires sur son projet « L’Après 20 ans ». ArtScenic Production, 107 Avenue Henry Freville B.P 10704, 35207 Rennes cedex 2.