La question du séjour en France des enfants et des jeunes étrangers malades ou handicapés n’intéresse visiblement pas le très controversé ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. Malgré des demandes réitérées, les questions suivantes sont restées sans réponse ni interlocuteur : « Quelle est la politique suivie en matière de handicap et de problèmes graves de santé pour ce qui concerne le séjour des enfants et jeunes étrangers en France ? Pour celles qui sont en situation irrégulière, quelle est la politique suivie lorsqu’elles sont porteuses d’un handicap, d’une maladie invalidante, ou ne peuvent recevoir dans le cadre d’une maladie grave des soins appropriés dans leur pays d’origine ? Enfants et adolescents sont-ils expulsables, internables en centre de rétention ? Pour ces enfants et adolescents, quelle est la politique conduite en direction de leurs parents lorsque ces derniers sont en situation de séjour irrégulier sur le territoire français, même s’ils y travaillent légalement et paient cotisations sociales et impôts ? ». Mais au ministère, on préfère la répression et la propagande aux réponses à des sujets qui fâchent.
Reste donc le récit de situations vécues, comme celles que met en évidence le Réseau Education Sans Frontière (R.E.S.F) dont les membres sont entrés en résistance contre une politique qui ignore la dignité humaine et piétine ce qui faisait jadis la renommée de la France, perçue comme le pays des Droits de l’Homme.
Ainsi, exemple parmi d’autres, le jeune Algérien Mahdi Dif, 20 ans : souffrant d’un cancer du tibia gauche décelé alors qu’il avait 16 ans, il a attendu 1 an une prise en charge médicale et un visa, puis est venu en France en juin 2005 avec une carte de séjour « étranger malade » pour échapper à une amputation. Opéré à Paris, il vit depuis avec une prothèse du genou et doit rester sous suivi médical régulier. Reconnu handicapé à 80%, il a perçu des allocations. Il a été scolarisé au collège puis dans un lycée lyonnais, tout en travaillant pour payer une chambre dans un foyer, et vivre, tout simplement. Dès qu’il eut 19 ans, fin 2007, la Préfecture du Rhône a refusé de renouveler son titre de séjour et lui a délivré une obligation à quitter le territoire français, confirmée par le Tribunal Administratif. Il a été arrêté lors d’un contrôle à la sortie du métro Guillotière, à Lyon, le 26 avril dernier et placé au centre de rétention de l’aéroport Saint-Exupéry. Le 10 mai, il a refusé d’embarquer dans l’avion qui devait l’expulser. R.E.S.F Rhône précise que si le cancer de Mahdi Dif est en rémission, il n’est pas guéri, certificat médical circonstancié à l’appui : « L’intéressé risque à tout moment un descellement de la prothèse […] ce qui nécessiterait une réintervention urgente et rapide dans le centre hospitalier qui l’a opéré. Au cas où ce patient se trouverait en Algérie dont les capacités sanitaires sont limitées, le pronostic vital serait mis en jeu et le résultat serait catastrophique sur sa santé ». Insensible à ce constat, le Préfet du Rhône maintient Mahdi Dif en centre de rétention, il est expulsable à tout moment. Les soins coûteux et l’éducation que le jeune homme a reçus, ainsi que son avenir ne seront plus qu’à passer par pertes et profits.
Pour sa part, le Préfet du Cher a desserré l’étau autour de l’enfant sourd Zolboot Burjigin Janbala Suren (lire cet article): « La situation administrative n’a que peu évolué, précise toutefois R.E.S.F Cher. Zolboot et sa famille vivent encore dans un appartement ‘réquisitionné’, ne sont toujours pas régularisés et ce malgré le fait que la préfecture ait vérifié l’authenticité des trois courriers émanant de Mongolie (ministre de la santé, association de handicapés et seule école accueillant des enfants handicapés) attestant que Zolboot ne pouvait être soigné en Mongolie. Le père arrive à travailler un peu au noir pour subvenir aux besoins de sa famille, qui reste très soutenue par la communauté berruyère. Des bonnes nouvelles cependant. L’arrivée d’une petite soeur qui est venue agrandir la famille et surtout une évolution plus que positive du développement de Zolboot. Le fait de pouvoir accéder à un langage lui a permis de communiquer et de s’exprimer autrement que par des cris. Il peut accéder à des sentiments et des concepts élaborés. Ces progrès sont flagrants et impressionnants, il arrive même à prononcer quelques mots ». Malgré cette évolution, Zolboot et sa famille vivent toujours dans la plus grande précarité, maintenu dans l’illégalité par la volonté de l’Administration et des politiques.
Le devenir de Joao Da Silva, paraplégique depuis son enfance et aujourd’hui âgé de 25 ans, se joue à Rouen devant la justice administrative : il y conteste le rejet de sa demande de séjour pour motif médical. Joao Da Silva, originaire de Guinée Bissau, a rejoint son père en France en 2003. Depuis, il a entrepris une rééducation pour acquérir une autonomie motrice lui permettant de se prendre en charge seul et de subvenir à ses besoins. Reconnu handicapé par l’ex-Cotorep, mais privé de son Allocation Adulte Handicapé depuis que le renouvellement de son titre de séjour lui a été refusé, il est dans une situation difficile, hébergé dans une structure d’accueil d’urgence, sans ressources depuis que son père a quitté le territoire français pour échapper à une menace de reconduite vers la Guinée Bissau. L’expulsion de Joao Da Silva mettrait un terme à ses espoirs de vie autonome, la Guinée Bissau, qui subit à la fois une crise politique et la crise alimentaire mondiale, n’ayant ni structures sanitaires adaptées ni politique de réhabilitation des personnes handicapées. La situation de Joao Da Silva n’est guère différente de celle de Joseph Kemgang, à la différence que ce dernier, handisportif de haut-niveau, avait bénéficié de soutiens politiques pour obtenir la régularisation de sa situation.
Durant des décennies, la France a accueilli, soigné, éduqué, des enfants et jeunes handicapés originaires d’Afrique et d’Asie, touchés par la poliomyélite, des surdités congénitales, des cécités dues à l’onchocercose. Elle comblait ainsi les lacunes sanitaires et sociales de pays pauvres, pour la plupart anciennes colonies françaises, remplissait une mission humanitaire et émancipatrice pour les personnes handicapées ainsi traitées. Nombre d’entre elles sont même devenues des handisportifs, des artistes talentueux, participant à la diversité de notre pays et à la création de richesse. Une diversité en voie de disparition parce que, paraît-il, « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde »…
Laurent Lejard, mai 2008.