L’Institut Médico-Educatif Alternance 75 (Paris 19e) reçoit une quinzaine de jeunes autistes âgés de 14 à 20 ans, qui alternent une semaine en internat et deux en externat familial. Ils peuvent demeurer dans l’établissement au-delà de leurs 20 ans si aucune solution de sortie n’est possible par manque de place dans le, ou les établissements choisis; cette disposition a été introduite le 13 janvier 1989 dans la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975, par un amendement qui porte le nom du comédien Michel Creton qui avait conduit un combat personnel pour lutter contre l’enfermement psychiatrique ou le délaissement familial des adultes sans solution médico-sociale. La directrice de l’I.M.E Alternance 75, Corinne Ben Samoun, explique l’impact qu’a encore, 20 ans après, cet amendement Creton :

« Je n’ai jamais mis un jeune à la porte de l’établissement. Le cadre de la loi nous permet de le faire, c’est bien, cela permet de travailler le processus d’orientation. Chaque année, deux à trois jeunes de plus de 20 ans bénéficient de l’amendement Creton. Mais ils ne restent jamais au-delà de 22 ans dans notre établissement ». Corinne Ben Samoun met à profit ce temps supplémentaire pour travailler sur l’orientation qu’elle décrit comme un processus d’accompagnement des jeunes et de leurs familles : « Je dois quand même préciser que je n’ai pas connu les côtés très négatifs de cette mesure. Des trentenaires toujours accueillis en I.M.E, ça existait encore il y a quelques années. Ce n’était pas bon pour la prise en charge des jeunes concernés. Quand une structure a un projet, elle ne peut pas le déployer pour un jeune qui est sorti de l’âge concerné par ce projet éducatif. J’ai le souvenir d’une jeune fille qui a vu tous ses copains partir, avec comme résultat des troubles du comportement amplifiés par le fait qu’elle restait chez nous. Parce que l’on parle différemment à un adulte qu’à un adolescent. »

Si les créations de places en Maisons d’Accueil Spécialisé et autres établissements médico-sociaux pour adultes se sont multipliées depuis quelques années, les solutions d’orientation et de placement pour les sortants d’I.M.E sont pas toujours faciles à trouver : « Les sorties s’effectuaient dans les années 1990 vers l’hôpital psychiatrique, le domicile familial ou la Belgique, précise Corinne Ben Samoun. En réaction, on a créé notre association, l’APRAHM Autisme en 1990 par ras-le-bol de l’abandon des jeunes. L’absence de prise en charge les abîme, ils perdent leurs repères de vie en collectivité. »

Actuellement, les orientations vers les établissements médico-sociaux sont plus faciles, même si les statistiques officielles évaluent à 5.000 le nombre de jeunes laissés sans solution éducative en France. « On chemine avec les familles, poursuit Corinne Ben Samoun. Au début, je ne voulais pas que les jeunes aillent en Belgique : cet éloignement me semble difficile à vivre pour les adolescents et les jeunes, mais confortable pour la famille. Aujourd’hui, je pense qu’il faut donner la possibilité de voir ailleurs, en proposant aux parents que leur adolescent fasse un stage dans un établissement belge. Finalement, des parents se rapprochent des structures belges dans lesquelles sont accueillis leurs enfants. Ce type de placement est une solution alternative à l’amendement Creton. Je me dis parfois qu’il est heureux que des familles n’aient pas invoqué le bénéfice de cet amendement. Mais à un moment donné, il faut mettre fin aux recherches d’établissement, malgré les désirs des parents : il faut travailler avec eux, pour qu’ils passent le cap. »

Corinne Ben Samoun déplore toutefois que l’amendement Creton n’ait pas entraîné une réflexion sur la création d’établissements adaptés : « Il a été critiqué par les professionnels qui y voyaient un signe de défiance envers eux. Ils se sont sentis désavoués parce qu’ils pensaient qu’il fallait plutôt s’interroger sur le manque de place pour les adultes. Alors que des enfants étaient en liste d’attente pour entrer en I.M.E parce que les adultes y restaient, ce qui retardait leur accueil et pesait sur l’efficacité de la prise en charge éducative. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de place en établissement qu’autrefois. Mais il faudrait une réflexion en haut-lieu sur le fait que des jeunes ne trouvent pas la place qui leur convient, la nécessité d’inventer de nouvelles prises en charge et de renforcer l’encadrement ».

Corinne Ben Samoun constate que pour certains jeunes, sur lesquels un cadre familial très dégradé pèse lourdement, marqué par une misère sociale ou des troubles mentaux et parfois l’alcoolisme, il est très difficile de trouver une solution de placement : « En Centres Médico-Psychologiques, il y a des petits bouts de prise en charge. Mais avec une famille en détresse, les troubles de l’enfant devenu adolescent envahissent la famille. Il y a beaucoup de sorties vers 12-14 ans, en provenance de C.M.P, ce qui entraîne un retour dans le milieu familial qui n’y est pas préparé ». La prise en charge éducative en C.M.P concerne les enfants, et c’est en réaction à la carence en solution de suite que l’I.M.E Alternance a été créé.

Corinne Ben Samoun constate également un alourdissement, depuis quelques années, du contrôle administratif : « Il y a une logique d’évaluation et de rendre des comptes sur des résultats. Ce qui prend du temps au détriment du traitement des cas lourds. Les inspectrices de la Ddass sont venues dans l’établissement pour faire des économies : au bout de quelques jours de présence dans l’établissement, face à la réalité, elles ont compris l’ampleur des moyens nécessaires ! Finalement, j’ai tout ce dont j’ai besoin, parce qu’il faut comparer ce qui est comparable. »

Corinne Ben Samoun estime qu’une place dans son I.M.E, qui traite des situations difficiles, revient à 75.000€, alors que la moyenne admise est de 60.000€. Dans le même temps, la mise en oeuvre de l’amendement Creton commence à avoir un impact financier; la Sécurité Sociale veut faire payer le forfait journalier : « Si je fais une prolongation thérapeutique, je dois la justifier sur la base d’une orientation demandée en Maison d’Accueil Spécialisé ou Foyer d’Accueil Médicalisé. Sinon, ça devient compliqué en terme de prise en charge. Sur Paris, j’y arrive encore. Mais si l’orientation n’est pas une MAS ou un FAM, l’établissement risque de perdre de l’argent en invoquant l’amendement Creton ». Une disposition palliative humaniste qui est encore utile, 20 ans après, malgré ses défauts…

Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2009.

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