« Maman, c’est trois quelque chose » présente la vie et les relations de Marie-Luce Bertaud-Pineau avec son fils Johann, adopté à l’âge de deux ans, marqué à vie par la maltraitance de parents biologiques eux-mêmes en souffrance. Ce témoignage sensible, parfois révolté, toujours interrogatif vers le lecteur, l’Autre, est paru chez Cheminements Editions, dans la collection Noème. « Maintenant, commente Marie-Luce Bertaud-Pineau, Johann est un jeune adulte âgé de 21 ans. Très poli, d’un contact agréable, il est très apprécié des autres, et les professionnels investissent beaucoup en lui. Il est très sociable… jusqu’à la première contrariété ».

Vous ne lirez pas le détail de ce que « crise » veut dire, les coups, les dégâts matériels, ce sont les bleus à l’âme que Marie-Luce Bertaud-Pineau expose au lecteur, et une culpabilisation fréquemment renvoyée aux parents par les psychiatres : « On est beaucoup plus entendu depuis que l’hôpital psychiatrique a vu Johann en crise. Le livre a été mis à la disposition du personnel de l’hôpital psychiatrique. Johann y séjourne maintenant à temps plein, aucune autre structure parmi toutes celles qui ont été approchées ou tentées ne convient, aucun lieu de vie n’est réellement adapté à ses besoins. Il y a des types de handicaps qui ne sont pas visibles. J’ai l’impression que cela se voit un peu chez Johann, parce que je le connais bien. Même notre entourage proche ne peut comprendre sans voir ».

Avec son mari Philippe, elle a fait le choix d’adopter : « On n’a pas choisi la stérilité, mais on avait déjà envisagé, avant de la constater, l’adoption d’enfants considérés comme non adoptables, pour leur faire vivre une vie de famille. À l’époque, nous étions famille d’accueil. Quand Johann, Juliette, Marie et Betty sont arrivés chez nous, ils ne sont jamais repartis. Juliette a une déficience intellectuelle légère associée à des troubles du comportement. Après un séjour en Institut Médico-Educatif, elle a été orientée vers un ESAT. Nos deux autres filles, Marie et Betty, sont handicapées physiques. On ne regrette rien, même aux moments les plus durs. Ils nous apportent énormément. On baignait déjà dans le milieu du handicap. Philippe a travaillé à l’Arche, aux côtés de Jean Vanier. Philippe et moi avons reçu une éducation ouverte aux autres, je me souviens que mes parents accueillaient des personnes démunies. Nous avons eu le soutien de nos familles et des amis. Pour nous, c’est d’abord une démarche humaine, sans mettre en avant les valeurs de l’Évangile que l’on essaie de vivre au quotidien ».

Une approche très éloignée du messianisme prôné par certains courants chrétiens, contestant le concept de « souffrance pour la souffrance ». Marie-Luce et Philippe ont recueilli des enfants plus « difficiles » que bien d’autres, mais pas par apostolat : « C’est de l’amour, on aime nos enfants, on aime la vie. Si on avait abandonné Johann, il aurait vécu toute sa vie en hôpital psychiatrique. Quand on l’a accueilli, on nous a dit qu’il aurait des séquelles psychiques. Il a passé ses deux premières années de vie avec des parents qui avaient beaucoup souffert, parce que les difficultés qu’ils ont vécues n’étaient pas un choix. On veut faire passer le message, en pensant aux mères biologiques de nos enfants. Elles n’ont pas choisi de maltraiter leurs petits. C’est facile de leur jeter la pierre, sans voir le drame humain ».

Marie-Luce Bertaud-Pineau veut combattre les représentations toutes faites : « Les parents sont coupés par les professionnels dans ce qu’ils disent, ils ne sont pas assez écoutés. On était suspectés de ne pas aimer notre enfant, ce qu’un psychiatre nous renvoyait en répétant sans cesse à propos de Johann : ‘il interroge sa place’, sous-entendu ‘au sein de la famille’. Ça nous retombe toujours dessus, la famille a le dos très large, on doit faire face à plein de choses. Quand il était en postcure, Johann étant majeur, on ne voulait pas nous informer sur sa santé mentale. On est ceux qui doivent toujours tout porter sans savoir ce qui se passe dans les prises en charge de l’hôpital psychiatrique. Et les professionnels sont complètement débordés, par manque criant de moyens. L’hôpital n’est pas un lieu de vie, mais de survie ».

Marie-Luce Bertaud-Pineau voudrait espérer une approche plus ouverte de la société envers les personnes vivant avec un handicap psychique : « On parle davantage des troubles psychiatriques, surtout quand il y a des drames. C’est un peu plus travaillé dans la société ». Mais le poids de l’institution psychiatrique pèse sur les familles : « Ce qui est dur, c’est que tout ce que l’on dit est épluché, les erreurs renvoyées au visage en cherchant plutôt la faille. Accusés, suspectés. Mais ça change, ça évolue, les professionnels changent leur regard ».

Laurent Lejard, mai 2010.


Maman, c’est trois fois quelque chose
, par Marie-Luce Bertaud-Pineau, Cheminements Editions, 20€ en librairies.

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