« Il faut choisir entre l’Auxiliaire de Vie Scolaire et le chien d’assistance ». Cet ultimatum, c’est un élève myopathe au lycée parisien Victor Duruy qui l’a reçu de la direction de l’établissement, lors de la précédente année scolaire. Devant cette intransigeance, les parents ont fait le dos rond et renoncé à engager le combat pour que le chien d’assistance de leur fils soit accepté au lycée. Une renonciation à laquelle la famille Sibourg ne se résigne pas : le principal du collège Robert Doisneau à Châlons-sur-Saône (Saône-et-Loire) et l’Inspecteur de l’Éducation Nationale Adaptation Scolaire et Scolarisation des Elèves Handicapés (IEN ASH), Jean-Pierre Durozard, interdisent d’entrée le chien d’assistance de Jeanne Sibourg, une élève handicapée motrice qui se déplace en fauteuil roulant électrique. Les parents de l’adolescente rapportent les mots de l’IEN ASH lors d’une réunion de conciliation, le 13 octobre dernier : « Je me suis laissé avoir une fois, on m’a forcé à intégrer un chien d’assistance dans un collège, ça ne se reproduira jamais ! » La raison ? « Encore un caprice d’enfant handicapé que les parents veulent assouvir afin de se donner bonne conscience vis à vis du handicap de leur enfant », aurait asséné lors d’un entretien téléphonique l’IEN ASH aux parents, selon ces derniers.
Sauf que l’article 54 de la loi du 11 février 2005 est clair : « L’accès aux transports, aux lieux ouverts au public, ainsi qu’à ceux permettant une activité professionnelle, formatrice ou éducative est autorisé aux chiens guides d’aveugle ou d’assistance accompagnant les personnes titulaires de la carte d’invalidité ». L’infraction à cette disposition légale est punie d’une amende de 3e classe, soit de 45 à 450€. Une disposition que n’ignore pas l’Inspecteur d’Académie, François-Marie Perrin, supérieur hiérarchique de l’IEN ASH : « L’IEN ASH n’a pas compétence pour se prononcer sur ce sujet, ni pour proposer, ni pour s’opposer. » Mais l’Inspecteur d’Académie (nouvellement appelé Directeur des services départementaux de l’Education nationale, DASEN) entend respecter la loi à sa manière : « J’ai donné un avis favorable à l’entrée du chien d’assistance au collège Robert Doisneau. Le médecin de la Maison Départementale des Personnes Handicapées doit donner son avis. Le chien doit être prescrit par la MDPH, qui doit se prononcer sur son bien-fondé. J’ai besoin de savoir si ce chien d’accompagnement est nécessaire. » Or, cette formalité n’est pas prévue par les textes, la MDPH n’ayant aucune compétence en matière d’attribution d’animal d’assistance dont l’éducation et la remise gratuite sont du ressort et de la responsabilité exclusives d’associations agréées.
MDPH impliquée, chien sous tutelle.
Une formalité illégale que la MDPH accepte toutefois d’instruire : « L’équipe pluridisciplinaire de la MDPH doit étudier le besoin d’accompagnement par un chien d’assistance, » explique Agnès Jaegle-Barruol, directrice de la Maison départementale de l’autonomie de Saône-et-Loire. Ce qu’elle a fait en donnant le 29 novembre dernier un avis favorable à l’aide animalière dans le cadre du Projet Personnalisé de Scolarisation de Jeanne Sibourg. Une décision qu’elle n’avait pourtant pas à prendre, comme le confirme la porte-parole de la ministre déléguée aux personnes handicapées : « La reconnaissance des chiens guides et chiens d’assistance comme facteur d’autonomie et de mobilité, et le principe de leur accès à tous les lieux où son maître est appelé à se rendre, ne suscite pas de débat. Il est de notre devoir de rappeler à chacun le comportement respectueux qu’il doit avoir à l’égard des personnes handicapées, la dignité qu’il doit leur reconnaître pour leur permettre tout simplement de faire valoir leur droit à une vie sociale, à une intégration parfaite dans la société au quotidien. »
Bien évidemment, l’entrée d’un chien-guide ou d’assistance dans un établissement scolaire n’est pas simple, elle nécessite des mesures préalables pour que tout se passe bien en classe, dans les couloirs, à la récréation ou la cantine. Ce qu’a parfaitement décrit un Inspecteur ASH dans une note rédigée en mars 2012 pour répondre au questionnement d’une enseignante, et remise à la cellule Aide Handicap Ecole : « Le refus par le Proviseur d’un établissement n’est pas envisageable. Ne pouvant dire non, il est illusoire d’attendre un feu vert du rectorat […] Concernant la présence du chien, elle est de fait […] Concernant l’éventualité d’un accord du Conseil d’Administration à solliciter, cela n’est pas concevable ». Cet Inspecteur de l’Éducation Nationale précise que le règlement intérieur doit être adapté en conséquence, qu’il convient de prévoir des points d’eau pour que le chien s’abreuve, « organiser et institutionnaliser sa présence […] prévoir des limitations et interdictions opposables aux autres élèves qui ne devront pas se comporter n’importe comment quand le chien assurera sa mission ». Toutes propositions de bon sens, pour régler la vie scolaire en tenant compte du chien d’assistance dont la présence contribue également à l’éducation des élèves aux handicaps, ce que relève aussi cet IEN ASH.
« Normalement, il n’y a pas besoin de demander une autorisation à la terre entière ! s’agace la présidente d’Handi’Chiens, Brigitte Lamorte. Les parents sont confrontés à de telles difficultés qu’ils essaient par tous les moyens de trouver une solution. Les parents, les responsables du centre Handi’Chiens se retrouvent face à un mur. Soit les parents sont comme ceux de Jeanne, soit ils abandonnent. » Jeanne Sibourg n’a que ses mots d’enfant à opposer aux adultes, pour expliquer ce que sa chienne d’assistance, Floride, lui procure : « Elle me rassure, je m’accepte mieux. J’ai plus confiance en moi. Au moins, quand j’ai Floride, on voit que je peux m’occuper de quelqu’un. C’est tout ce qui manque de moi. C’est mes jambes, mes muscles, mes bras. » Sa mère constate que Jeanne change, qu’elle s’affirme, et commence à accepter son corps qu’elle ne masque plus sous d’amples vêtements informes.
Mais parce que l’administration française fonctionne ainsi, il est hélas fort probable que d’autres chefs d’établissements scolaires agissent à leur manière tant que le ministère de l’Éducation Nationale ne leur aura pas donné d’instruction précise. Le tout-nouveau Directeur général de l’enseignement scolaire, Jean-Paul Delahaye, est saisi du dossier : saura-t-il rapidement rédiger les instructions qui s’imposent ?
Laurent Lejard, décembre 2012.