« Je n’ai jamais pensé au temps de répit pour les enfants valides. » Ce propos de Sonia Cardoner, présidente de l’Association Parentale d’Entraide aux Enfants atteints d’une Infirmité Motrice Cérébrale (APEEIMC), met parfaitement en évidence un besoin spécifique des familles dont un enfant vit avec un handicap important. « Nous accueillons tous les handicaps, poursuit Sonia Cardoner, même si les problématiques sont différentes pour chaque famille. Pour souffler, voir et penser le temps d’un week-end à autre chose qu’aux thérapies, aux formalités administratives. On a commencé à y penser en 2009, en organisant une sortie au lac Léman. Quand les enfants sont petits, on n’y pense pas. Mais à la longue, quand l’enfant grandit, il nous faut une pause. Le besoin du temps de répit apparaît avec le cumul des problèmes et des contraintes, quand il n’y a plus de temps pour les vacances ou pour soi. Il existe une lourdeur administrative pour la prise en charge des enfants handicapés, avec un caractère usant de ces formalités pour les familles. »

Sonia Cardoner et les membres de son association ont pris conscience de l’intérêt de ces temps de répit en constatant qu’il était difficile d’organiser des groupes de parole : « Les soirées entre parents se heurtaient au problème de la garde des enfants. » Alors, pour ces rencontres basées sur l’échange, le soutien mutuel, la solidarité et la stimulation de la joie de vivre, elle a eu l’idée de proposer des sorties à petits prix, le temps d’une journée. L’une des participantes, Magali Claudel, maman d’un petit Nicolas âgé de 10 ans, raconte : « Nous sommes en relation avec l’APEEIMC depuis deux ans. Avant, on ne sortait pas, on ne partait pas en week-end, par peur du regard des autres. Le temps de répit nous permet de nous retrouver en famille, mais aussi avec d’autres familles qui ont des enfants handicapés. Sans avoir peur des regards des autres personnes, ou de leurs reproches. »

Un effet de groupe probablement, qui fait que les remarques désobligeantes (que tous les parents d’enfants handicapés ont vécues) ne leur sont pas infligées quand ils sont plusieurs. « L’ambiance est différente de ce que l’on vit quand on sort seuls en famille, reprend Magali Claudel. Là, on s’amuse, on rigole ensemble. Quand vous avez besoin de vous absenter quelques instants, c’est une autre famille qui garde et aide votre enfant, ponctuellement. Ces temps de répit nous ont permis de revivre, à nous parents, et à nos enfants. » La famille Claudel a ainsi participé à des week-ends en montagne, des sorties en parc d’attractions. Et si sa maman estime que Nicolas est encore trop petit pour partir sans la famille en séjour pour quelques jours, ce n’est qu’une question de temps.

Des séjours que Sonia Cardoner organise soigneusement: « Je prépare à long terme, pour organiser et rassurer les parents sur l’accueil de leurs enfants, en leur faisant connaître les équipes qui vont accompagner leurs petits. On fait connaître en amont la personne qui va accompagner l’enfant, pour des relations humaines sur mesure, pour que ce soit accessible à tout le monde. On prépare tout, y compris le mixage de repas. En 2011, on a fait partir 19 enfants, et en 2012, 32. Quand tout s’est bien passé, les parents reviennent. »

L’association soutient les familles dans leurs projets d’accueil temporaire avec financement par la Prestation de Compensation du Handicap, ce qui génère des formalités qui peuvent déboucher sur un blocage de la commission décisionnaire. Sans compter que dans ce cas, les familles font l’avance des dépenses, ce qu’elles ne peuvent pas toujours assurer.

« La démarche est lourde, et nécessite des formalités elles-mêmes lourdes, déplore Sonia Cardoner. Le répit doit être plus facile, on ne devrait pas avoir à penser au temps passé au quotidien et à sa lourdeur avec un enfant handicapé. Si on n’avait pas tous ces problèmes, les vacances seraient comme tout le monde, sans parler du surcoût. C’est comme si la personne handicapée n’avait pas droit aux loisirs, ce que l’on constate quand on demande le financement de matériel dédié. Le frein au répit, c’est le coût. Le développement d’activités à des prix accessibles aux familles nécessite de trouver de l’argent, par du mécénat, des subventions. Et c’est de plus en plus difficile. Beaucoup de familles n’ont pas les moyens de payer des week-ends. Et elles ne peuvent pas dire ‘ce lieu nous plaît, on y va’ : il faut que les gestionnaires puissent, et veuillent accueillir. »

Mais quand toutes ces conditions sont réunies, il reste encore à combattre le sentiment de culpabilité des parents de quitter quelques jours leur enfant handicapé : « Tout dépend du contexte d’accueil de l’enfant, constate Sonia Cardoner. Quand il est dans un établissement spécialisé, les professionnels nous disent ‘on s’occupe de tout’, on est dépossédé de notre rôle de parents. Nous, on veille à ce que les parents déculpabilisent en faisant en sorte qu’ils ‘lâchent’ leurs enfants. Et notre plus beau cadeau, c’est le sourire des familles et des enfants. »


Propos recueillis par Laurent Lejard, avril 2013.

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