A première vue, l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA – à prononcer lettre par lettre) semble fort bien logé, dans des pavillons au milieu d’un verger en pente : un cadre agréable et calme dont le panorama sur Paris rappelle que l’on est à Suresnes, dans une banlieue résidentielle. Ces pavillons à hautes baies vitrées orientées au sud, avec toilettes dans les classes, reliés entre eux par des rampes, sont ceux de l’ancienne Ecole de Plein Air, construite dans les années 1930 pour recevoir en internat des enfants malades, certains tuberculeux, qui étaient enseignés selon la pédagogie Freinet. L’école est devenue par la suite un centre de formation, puis en 1971 le Centre National d’Etude et de Formation sur l’Enfance Inadaptée (CNEFEI) nouvellement créé s’y est installé. La loi du 11 février 2005 a réformé le CNEFEI devenu INSHEA avec des missions rénovées, dont un important volet recherche.

Nommé en juillet 2013, José Puig, ancien conseiller à l’intégration scolaire au cabinet de Ségolène Royal (2001-2002) alors ministre chargée des personnes handicapées puis directeur de I=mc2, dirige un établissement aux missions élargies depuis 2005: « Avant, c’était un centre de formation d’instituteurs spécialisés et de directeurs d’établissements spécialisés. Maintenant, nous sommes sous la tutelle des ministères de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur. Cela nous permet de dispenser des parcours universitaires jusqu’au niveau mastère. Avant, les enseignants se spécialisaient par handicap, maintenant ils évoluent vers un appui dans une école ordinaire: l’enfant est citoyen de la classe. »

Cette réforme de la formation s’inscrit dans un élargissement vers les besoins éducatifs particuliers, avec une démédicalisation de l’enfant. Chaque année, l’INSHEA accueille de 800 à 1.000 stagiaires, provenant d’établissements publics laïques puisque la filière privée confessionnelle dispose de sa propre filière, sans compter les actions de formation continue effectuée dans les Académies.

« Les missions des professeurs changent pour fournir de l’ingénierie pédagogique et du soutien, poursuit José Puig. Cette réorganisation a pris du temps, l’INSHEA peut y jouer un rôle parce qu’actuellement les choses sont empiriques, afin d’organiser des parcours professionnels. » José Puig souhaite d’ailleurs associer des personnes handicapées à titre d’experts : « Le handicap est un peu un objet de savoir. Les personnes handicapées viennent légitimer le savoir savant, pour partager leur expertise et expérience. Des auteurs handicapés commencent à évoquer ce que la société devrait changer pour intégrer. » Pour cela, José Puig va devoir affronter des locaux mal accessibles et pour certains inaccessibles, partiellement classés à l’inventaire des monuments historiques, et cherche d’autres locaux dans l’Académie de Versailles mieux desservis par les transports en commun.

Pour son directeur, l’établissement a les moyens de fonctionner malgré un patrimoine lourd et coûteux à entretenir. Il a reçu une dotation en nouveaux postes, conclut des partenariats universitaires. Son équipe de recherche est assez indépendante, composée d’une vingtaine d’enseignants chercheurs, pluridisciplinaires, sur le principe des « disability studies », en collaboration avec des universités.

L’INSHEA a également la mission de produire des ressources pédagogiques et documentaires, notamment grâce aux techniques numériques adaptées, et de tester l’adaptation de celles qui existent. Il organise un mini salon annuel, en relation avec des éditeurs, et travaille sur l’éducation numérique en partenariat avec le Centre national d’Enseignement à distance (CNED), pour proposer des formations à distance et avoir un regard technicien sur l’efficience des outils.

Formation en tous genres.

Coordonnatrice du pole surdité, Anne Vambrugghe encadre une douzaine de formateurs d’enseignants et d’intervenants du secteur médico-social : « Nous formons aux techniques de communication avec les enfants sourds des enseignants du primaire et du secondaire. » Cela en complément d’un tronc commun d’approche globale des handicaps. « L’objectif est d’assurer le libre choix du mode de communication de l’enfant et de sa famille, poursuit Anne Vambrugghe, la Langue des Signes Française est une demande minoritaire, le Langage Parlé Complété (LPC) concerne un public plus réduit encore. » La formation en LSF permet aux professeurs un début d’indépendance pour communiquer avec l’élève sourd, mais pas d’enseigner dans cette langue. Le pole surdité, qui peine à satisfaire la forte demande de formation, assure une expertise des programmes en LSF et participe à la production de ressources audiovisuelles.

Directrice des études depuis 2009, Claire Boursier, chapeaute deux enseignants LSF et deux interprètes, qui sont formés au vocabulaire de l’éducation nationale. Elle siège au Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH), ce qui lui permet d’apprécier les besoins importants dans le scolaire. Plus inattendu, elle a développé une formation de conseiller en accessibilité dans le tourisme, les loisirs, l’insertion professionnelle. « On s’est rendu compte qu’il y avait un besoin d’accompagnement, précise-t-elle. Il s’inscrit dans la mission d’insertion des personnes en difficulté sociale, incluant la vie sociale et l’emploi. » Elle a également conduit une action de sensibilisation sur les compensations du handicap : « Il y a maintenant des professeurs handicapés d’Education Physique et Sportive, au terme d’un concours complexe et lourd. » Elle travaille avec les fédérations françaises Handisport et de Sport adapté ainsi que Special Olympics pour former des éducateurs sportifs handicapés, diplôme universitaire à la clé. « Nous sommes une force de proposition dans le domaine, une action qui s’inscrit dans la convention des Nations-Unies en faveur des personnes handicapées. »

Créer des supports pédagogiques adaptés.

L’INSHEA participe également à des programmes internationaux, un domaine géré par Nel Saumont, coordinatrice nationale pour l’Agence européenne pour les besoins spéciaux et l’éducation inclusive (site en anglais) : « Nous avons travaillé sur une trentaine de programmes européens, avec le Maghreb, la Russie, le Liban, Haïti, sur des mastères conjoints, de la formation. Mais il est difficile d’évaluer les retombées pour l’INSHEA de la participation à des actions européennes qui sont davantage du domaine personnel, individuel, que collectif. »

Autre champ d’intervention de l’établissement, la création de documents adaptés aux élèves déficients visuels. Ce service, confié à Guillaume Gabriel et Annie Tromeur, propose trois types de supports pour les collégiens avec dessin en relief et braille, ou en niveaux de gris et caractères 24 points, ou encore en couleurs contrastées et caractères 18 points.

« Plus de 400 documents sont disponibles, relève Guillaume Gabriel; en histoire de la 6e à la 4e, en géographie, sciences et vie de la terre, actualités de presse. » Les documents sont téléchargeables et viennent en complément de ce que les enseignants peuvent demander au centre de transcription de leur Académie. « L’idée est de transmettre le dessin, de lire l’image, avec un guide de lecture, complète Annie Tromeur. La lecture d’image est une éducation, un apprentissage de documents conçus en amont. On a travaillé à Haïti pour former des personnels éducatifs et la bibliothécaire de l’école pour jeunes déficients visuels de Port au Prince. On a vu qu’avec les moyens dont ils disposent, il y a beaucoup à faire en terme de conceptualisation, pour faire comprendre qu’un trait ne donne pas la perception de l’image. » Guillaume Gabriel et Annie Tromeur travaillent sur un projet iPad, Tactovoice, où des commentaires sonores lisent une image au moyen d’une plaque posée sur l’engin : « Ça donne une bonne interactivité. L’enseignant paramètrerait la hiérarchie des commentaires. »

L’un des domaines d’intervention de l’INSHEA est plus inattendu. Maitena Armagnague, coordonnatrice des formations d’enseignants nommés au ministère de la Justice, explique : « On forme les enseignants des Centres Educatifs Fermés et des prisons, pour leur donner les apprentissages et les connaissances de base face à des personnes dégoûtées ou très éloignées de l’école. Cela passe par des stratégies de contournement pour éviter la vision classique de l’école, la recherche de leviers employant des compétences acquises dans un cadre social dur. En utilisant le sport, qui permet de retrouver un rapport avec un groupe et une socialisation, de même que l’art de rue. » Maitena Armagnague travaille également sur les enseignants en Section d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) : « Je m’interroge sur le métier d’enseignant dans ces établissements, et le niveau déplorable du collège français : la sélection ne fonctionne pas avec l’homogénéité mais avec la diversité de niveaux. Les SEGPA regroupent tous les rejetés, formant une cour des miracles scolaire malgré les volontés des personnels, et leurs qualités. » A ses yeux, les SEGPA constituent une « forme d’apartheid dans les établissements et entre professeurs de statuts différents ». Des SEGPA dans lesquelles se retrouvent bon nombre d’élèves handicapés en échec au collège, signe d’une intégration scolaire encore très perfectible, une tâche pour laquelle il faudrait plus d’un INSHEA…

Laurent Lejard, février 2014.

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