Avoir des enfants a paru tout naturel à Anne Burger, Lorraine aujourd’hui retraitée et grand-mère : « Il y a un peu plus de 20 ans, je donnai la vie à mon quatrième enfant. J’étais très entourée, aidée, par mon mari, d’autres personnes. À la maternité, j’ai reçu la boîte rose et constaté que les informations qu’elle contenait n’étaient pas accessibles en braille. » Cette boîte distribuée dans les maternités aux mamans contient des conseils pratiques ainsi que des échantillons de produits, sans adaptation particulière. « Alors, reprend Anne Burger, je me suis organisée avec l’Association Valentin Haüy (AVH) pour que le livret que j’ai écrit, Bébé Amour, soit imprimé en braille et remis gratuitement aux mamans non-voyantes. Il contient des informations générales et spécifiques, ainsi que mon ressenti, mon expérience de mère, ma manière de faire : j’ai eu quatre enfants en six ans et demi. »
En 1992, il n’existait rien en la matière, « et encore moins écrit par une personne handicapée, complète Anne Burger. On n’est pas mieux placé que lorsque l’on est en situation, pour apprécier les soucis, donner de bons conseils. L’idée a cheminé, une amie conseillère en éducation sociale et familiale m’a aidée. La première version a été diffusée par l’AVH en versions braille, noir et audio sur cassette, une centaine d’exemplaires environ. Et il y a quatre ans, le président de l’AVH m’a proposé de l’actualiser. J’ai modifié certaines informations, telle la pratique de coucher bébé sur le ventre qui était conseillée à l’époque, et complété avec des technologies récentes. Cette actualisation a été réalisée en collaboration avec une étudiante sage-femme, Anne Lambolez : elle a écrit des chapitres sur la sexualité des femmes enceintes, les matériels, les prestations sociales, les aides administratives. Et on a eu l’idée de le distribuer via le réseau des boîtes roses de Family Service, qui a participé au financement de même que d’autres entreprises. Ce qui fait que les maternités disposent de l’information et peuvent introduire le livret adapté dans la boîte qu’elles distribuent. » Une version audio de Bébé Amour, au format adapté Daisy, est téléchargeable à la Bibliothèque Numérique Francophone Adaptée.
L’expérience d’Anne Burger constitue l’un des piliers de l’ouvrage, et elle la fait largement partager : « Des limitations sont induites par la personne voyante lorsqu’elle est au contact d’une non-voyante. Par exemple, on peut me guider en me prenant le bras, ce qui soulève mon épaule, alors je rectifie délicatement en prenant moi-même le bras de la personne qui me guide. J’ai dialogué avec des élèves infirmiers, c’est bien d’éduquer le personnel, c’est mieux d’éduquer la personne aveugle. Faites-vous montrer les gestes à accomplir, mais ne laissez pas faire à votre place ! Le plus souvent, on tombe sur des professionnels bienveillants. Même si on ne sait pas toujours à qui on parle, il ne faut pas hésiter à demander qui guide où s’exprime, pour apprécier la qualité du propos. Il faut parler, toute aide est agréable et généreuse. Si un aidant ne fait pas bien, il suffit de le dire, d’éduquer. Et il faut faire confiance : donner la vie est une aventure, on s’interroge toutes. » Outre cet aspect éducatif, Bébé Amour comporte de nombreux conseils pratiques et des matériels récents : « La technologie a évolué. Je présente les étiquettes vocales que l’on place sur des objets, le détecteur de couleurs, la balance vocale, les applications iPhone, etc. »
Pour Anne Burger, les femmes aveugles doivent librement assumer leur désir de maternité et vaincre, au besoin, les réticences de leur entourage, de même que les pères : « Il n’y a jamais eu d’accident domestique avec mes enfants, parce que j’ai toujours été vigilante, prudente. Et mes enfants sont comme les autres, les deux aînées sont actuellement élèves en école vétérinaire. Les pères non-voyants ont envie de s’impliquer auprès de leurs enfants, par le toucher, les changes, les biberons. Le père non-voyant sera certainement plus présent que le voyant. Être aveugle n’est pas une mince affaire, mais ce n’est pas une raison pour refuser la maternité à une femme. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2014.