« Quand il n’y a pas de place, il n’y a pas de place. » Le propos de Sylvie Moscillo, présidente de Handicaps et Scolarité 44, est frappé au coin du bon sens. Alors à quoi pourra servir le Groupe opérationnel de synthèse qui pourrait prochainement être adjoint à l’équipe pluridisciplinaire de chaque Maison Départementale des Personnes Handicapées ? « Dans l’absolu, poursuit Sylvie Moscillo, la MDPH pourra saisir le Groupe opérationnel de synthèse de tout dossier à la demande de n’importe qui vers n’importe quoi en fonction des moyens mobilisables. » Cette nouvelle structure figure dans un amendement au projet de loi relatif à la santé publique et adopté par la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale. Le Groupe opérationnel de synthèse serait composé de professionnels d’établissements médico-sociaux qui formuleraient, en attendant mieux, des propositions d’orientation provisoire pour des personnes handicapées sans solution faute de places adaptées disponibles… en établissements médico-sociaux.
Mais quelles propositions pourra-t-il faire pour pallier ces carences ? C’est ce qui inquiète Céline Boussie, présidente de l’association Handi’Gnez-Vous : « Nous, on sait très bien que le provisoire dure ! La France a pris 40 ans de retard. Orienter un jeune vers un établissement qui ne serait pas adapté pose la question de la prise en charge : cette prise en charge est un naufrage. Placer à n’importe quelle condition, cela va donner pleins pouvoirs aux professionnels, alors qu’on ne peut travailler qu’avec les parents. Si les gens qui sont au fait de la situation ne sont plus décisionnaires, les personnes handicapées deviennent des meubles qu’on déplace. Et un établissement pourrait sortir un pensionnaire sans l’accord de la MDPH. » Céline Boussie redoute des décisions « à prendre ou à laisser » assorties de deux risques : le classement du dossier sans suite ou un signalement au Procureur de la République pour délaissement. « Actuellement, des MDPH font des signalements en cas de refus de la part des parents d’une orientation inadaptée de leur enfant petit ou grand. On est quand même censé être dans le pays des droits de l’Homme ! Les orientations en rapport de force, on connaît, avec leurs dérives, dysfonctionnements et maltraitances. Les dangers de cet amendement, on les vit déjà au quotidien. »
Manipulation gouvernementale ?
Coauteure de l’amendement, la députée socialiste Martin Carrillon-Couvreur, qui est également présidente du Conseil National Consultatif des Personnes handicapées, comprend mal la levée de boucliers instantanément suscitée par son texte: « Ce qui est recherché là c’est de trouver des outils pour qu’une solution se présente, le temps de trouver une solution plus pérenne. Aujourd’hui, quand il n’y a pas de solution, il n’y a rien. Là, on organise une commission spécifique qui recherche une solution en fonction des moyens locaux. Le groupe de synthèse devra trouver et dialoguer. » La députée insiste sur l’obligation de recueillir l’accord de la famille, ce qui ne règle pas les objections soulevées. Toutefois, le texte est en cours de discussion entre le cabinet de la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Ségolène Neuville, et les associations, « La formulation est en cours de modification. »
Mais pourquoi présenter maintenant un tel amendement alors qu’une mission de propositions est en cours ? Confiée à Marie-Sophie Desaulle, ancienne présidente de l’Association des Paralysés de France (2000-2007) puis directrice d’une Agence Régionale de Santé jusqu’en 2014, elle vise à mettre en oeuvre le rapport Zéro sans solution remis au Gouvernement en juin 2014 par l’ancien directeur de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA), Denis Piveteau, afin que des personnes lourdement handicapées ne restent pas dans leur famille sans soutien ni aide.
Martin Carrillon-Couvreur précise : « Marie-Sophie Desaulle est venue expliquer le 24 mars dernier au CNCPH sa mission et officialiser le Groupe opérationnel de synthèse. Le problème actuel est de ne pas avoir de solution transitoire faute de solution adaptée. » Mais la députée est-elle la rédactrice de l’amendement controversé ou sert-elle de plate-forme au Gouvernement ? « J’ai accepté de présenter cet amendement avec d’autres députés, explique-t-elle. Il a été préparé avec le cabinet de Ségolène Neuville, Marie-Sophie Desaulle et Denis Piveteau. » La manoeuvre politique s’éclaire : le Gouvernement ne pouvait déposer cet amendement créant un nouvel organisme d’orientation des personnes handicapées sans risquer d’être accusé de torpiller la mission Desaulle. C’est donc un groupe de députés mené par Martine Carrillon-Couvreur qui s’est chargé de la besogne en espérant passer en douce…
Les jeunes scolarisés concernés.
Le public concerné par l’amendement n’est pas défini, toutes les personnes handicapées en demande d’orientation et placement sont concernées y compris les jeunes scolarisés. Sylvie Moscillo s’inquiète : « La loi de 2005 donne des droits et rappelle l’obligation scolaire, elle définit le handicap par référence à l’environnement, ce qui ouvre droit à compensation. Jusqu’en 2012, les MDPH ont monté peu de Projets Personnalisés de Scolarisation (PPS), depuis des décisions d’orientation sont prises en dehors de ce que demandent les parents. Jusqu’aux décrets de décembre 2014 [lire l’actualité du 11 février 2005], les familles avaient des recours en justice. Maintenant, le Geva-sco [guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation] est rempli par un enseignant qui doit évaluer les conséquences du handicap. L’école doit également émettre un avis. Mais quel est leur compétence en la matière ? » Elle redoute, là encore, des propositions inadaptées que la MDPH ne peut actuellement imposer aux familles sans le futur Groupe opérationnel de synthèse : composé de professionnels, ses propositions auront une force « supérieure », celle des « sachants ».
Sylvie Moscillo n’a pas loin à aller pour comprendre; l’exemple de sa fille Laurie, infirme motrice cérébrale, suffit : elle devait à la rentrée 2013 intégrer une université à Grenoble et loger en Cité Universitaire mais si la MDPH de Haute-Savoie acceptait de financer le transport quotidien depuis le domicile parental (soit 300 km), elle refusait de couvrir les trajets de week-end puisque l’étudiante changerait de département de résidence ! Après une promesse de prise en charge partielle non tenue, l’étudiante a craqué et a abandonné ses études. « L’orientation est à prendre ou à laisser, explique sa mère. Pour Laurie, ça a été physiquement très compliqué, elle a perdu sept kilos, subit un regain de spasticité, son état physique s’est dégradé. Elle va rebondir autrement mais c’est une année flinguée pour elle et la famille. » Cela, Sylvie Moscillo le redoute pour d’autres familles, d’autant que les besoins ne sont toujours pas connus : aucune étude sur la population des personnes handicapées n’a été réalisée, avant comme après la loi de février 2005, générant 20.000 enfants et jeunes laissés sans solution. « Il existe un déséquilibre entre les orientations demandées et les places disponibles, conclut Sylvie Moscillo; dont résulterait un jeu de chaises musicales tout en autorisant de déroger sur l’agrément de l’établissement. »
En clair, la nouvelle organisation décisionnelle des MDPH basée sur la révision annuelle des dossiers (ce qui devrait davantage encore engorger ces organismes déjà saturés) permettrait de placer et déplacer des personnes au gré des disponibilités à combler sans tenir compte de l’adéquation de l’établissement avec les besoins d’un usager devenu simple meuble à déménager.
Laurent Lejard, avril 2015.