Artiste plasticien et performeur tourné vers les autres, Patrick Delpech a eu il y a six ans une idée détonante à la faveur d’une rencontre avec des personnes handicapées psychiques membres d’un Groupe d’Entraide Mutuelle (GEM) du Lot-et-Garonne. « Elles m’ont dit ‘on veut retrouver notre place dans la cité’. L’une d’elles m’a expliqué ‘je suis schizophrène et à chaque fois qu’on en parle à la télé, c’est pour évoquer un tueur en série ». Patrick Delpech a organisé des ateliers artistiques et un événement auxquels quelques usagers du GEM ont participé, puis son esprit fécond lui a fait proposer d’organiser la distribution de bonbons ou d’une douceur pour combattre les préjugés dont ces personnes handicapées psychiques sont victimes. Si cette première idée n’a pas été retenue, du fait de la difficulté de ces personnes d’aller spontanément au contact des passants, elle a entrainé un cheminement intellectuel qui l’a conduit à associer les personnes objets de préjugés pour identifier ces derniers, les définir et les mettre en boite : « Je leur ai dit ‘le médicament c’est aussi la boite, alors écrivez votre notice ».

De là est sorti le Préjugix 200 milligrammes, distribué gratuitement à 50.000 exemplaires dans des pharmacies. A l’intérieur, neuf notices rédigées par des associations et personnes concernées, chacune sur une thématique : handicap physique, dépression, seniors, familles de malades psychiques, handicap mental, jeunes, violences conjugales, reconversion professionnelle, homosexualité. Avec l’objectif de sensibiliser à la lutte contre les préjugés pour débattre, participer à l’assemblage des boites et organiser leur distribution, préparer des événements pour donner la possibilité aux gens de s’exprimer, déposer un préjugé sur un thème, le dessiner, diffuser ce travail le jour de la distribution. « On veut rester dans le cadre, le préjugé et pas la discrimination. On ne donne pas de leçon de morale aux gens, tout le monde à des préjugés, conclut Patrick Delpech. Les ateliers de mise en boite des notices ont créé des rencontres fantastiques, et on en prévoit d’autres dans toute la région Nouvelle Aquitaine pour le 400mg. »

Parce qu’en 2019, on double la dose pour passer au Préjugix 400mg : 16 notices toutes nouvelles, dont 7 sur de nouvelles « catégories » de préjugés dont ceux qui visent la sexualité et la parentalité des personnes handicapées. Et c’est là que l’association Handiparentalité, qui déploie depuis 7 ans en Gironde une activité exemplaire qui manque aux autres territoires, entre dans la boîte. « Je connaissais déjà le 200mg pour l’avoir eu dans les mains, relate sa présidente, Florence Méjécase Neugebauer, et par notre précédente trésorière. Elle m’a amené à le regarder de plus près. Handiparentalité mène des actions de sensibilisation, du théâtre forum, une exposition qui continue à tourner, et on nous demande, nous association, d’avoir des actions innovantes. » Sa notice du Préjugix 400mg a été construite à partir de témoignages et expose 4 préjugés : « les handicapés n’ont pas de sexualité, ils ne peuvent pas faire d’enfants, être enceinte et handicapée c’est trop compliqué et toujours risqué, faire un enfant c’est inconscient et égoïste. »

Comme les autres structures qui élaborent leurs notices, Handiparentalité va organiser ces prochaines semaines des ateliers de montage et remplissage des boites, des événements et rencontres publiques dans lesquelles les témoignages recueillis seront des outils de lutte contre les préjugés. « Nous, on tricote des petites choses utiles au quotidien, poursuit Florence Méjécase Neugebauer. On veut rester dans la pair-émulation, avancer localement. Le Préjugix y répond pleinement. »

Reste également à convaincre élus décideurs et politiques que l’handiparentalité est tout bonnement normale, et là il y a encore du travail lorsque les besoins d’aide humaine sont mis sur la table : il n’existe toujours pas à cet égard de Prestation de Compensation du Handicap, sauf en Ille-et-Vilaine et depuis quelques semaines en Gironde. Mais dans le département d’Handiparentalité, ce n’est pas si simple : « Le Conseil Départemental avait annoncé lors d’une conférence de presse en mai 2018, où j’avais témoigné d’éléments de ma vie, la mise en place d’une PCH handiparentalité sur le territoire. Il y a eu plusieurs rencontres et réunions, une stagiaire a travaillé sur la PCH, on est arrivé à un tableau sur ce qui va se faire de 2019 à 2022. Actuellement, on est sur trois ou quatre familles qui ont une PCH handiparentalité. » Ce flou résulte du retard de création du comité de pilotage prévu, et de décisions déjà prises : « On a une vision très claire des besoins identifiés mais on se heurte à des personnes qui veulent décider à notre place dans un comité de pilotage, conclut Florence Méjécase Neugebauer. Cette PCH n’est accordée qu’à ceux qui sont déjà bénéficiaires d’une PCH aide humaine, sans tenir compte de la perte d’autonomie liée à la venue d’un bébé, avec trop de cases et de conditions. Le point positif, c’est qu’elle existe. On a fait écho à la volonté politique, c’est quand même une victoire. »

Quant au reste de la France, un comité parentalité doit se dérouler à Paris le 1er octobre prochain pour établir bilan et outils, en espérant que le Gouvernement ne renverra pas ce chantier à la réforme déjà annoncée de la PCH. Faut-il rappeler que le Comité Interministériel du Handicap du 2 décembre 2016 avait décidé de créer une PCH handiparentalité ? Les parents concernés l’attendent toujours. A croire que les préjugés frappent les plus hauts esprits de l’Etat : il va leur falloir une bonne dose de Préjugix !

Laurent Lejard, septembre 2019.

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