Dans moins de trois ans, une série de services et téléprocédures en ligne pourrait être accessible aux internautes handicapés dans les 27 pays de l’Union Européenne. A condition que la proposition de Directive Européenne rédigée par la Commission Européenne et transmise pour examen au Parlement et au Conseil des ministres de l’UE soit rapidement adoptée. Le texte liste une douzaine de services fiscaux, de prestations sociales, formalités administratives et universitaires, d’État-Civil et santé qui sont concernés. Les Etats membres pourront adjoindre d’autres sites et services à ce « panier minimal » qui constitue visiblement une réglementation au rabais comme le déplorait en décembre 2012 le président de l’Union Européenne des Aveugles (EBU), Wolfgang Angermann, qualifiant le texte de la Directive « d’occasion manquée » : « Nous demandions une égalité d’accès à tous les sites Internet des services publics, cette proposition n’entrainera pas les changements radicaux qui sont nécessaires. » Carine Marzin, qui suit le dossier au sein de l’EBU, précise que le projet est très en-deçà de l’Agenda numérique que la Commission Européenne avait présenté, et qui couvrait l’ensemble des services au public.

Dans l’exposé des motifs, la Commission Européenne relève que « moins de 10 % des sites web sont accessibles », alors que le « marché européen des produits et services associés à l’accessibilité du web est estimé à 2 milliards d’€ ». Mais les grosses sociétés de services informatiques (SSII) d’envergure internationale qui lorgnent sur ce marché ne le voient pas s’ouvrir, à cause de règlementations qui diffèrent d’un pays à l’autre (quand elles existent). C’est donc de Bruxelles que ces SSII ont obtenu l’obligation de mettre en accessibilité une partie des sites web publics sur des règles internationales, entrouvrant ainsi les portes d’un marché très lucratif puisqu’il est globalisé à l’échelle de 27 pays, soit environ 380.500 services d’administration en ligne et plus de 761.000 sites web du secteur public.

En l’absence d’une norme européenne d’accessibilité encore à l’état d’élaboration, ce sont les Web Content Accessibility Guidelines WCAG 2.0 du World Wide Web Consortium qui servent de critère de base. Approuvées le 11 décembre 2008, les règles qu’ils contiennent étaient en partie caduques au moment de leur acceptation au terme d’un très long processus d’élaboration, du fait de la concurrence à laquelle se livrent les éditeurs de navigateurs web, de même que les concepteurs de sites. Résultat : le respect par l’administrateur d’un site web des règles WCAG 2.0 se heurte à une incompatibilité partielle selon que l’internaute accède avec Firefox, MSIE, Safari, etc., problème auquel s’ajoute la compatibilité des interfaces mobiles de navigation.

Opposition au Sénat.

Actuellement, la proposition de Directive est en attente d’examen en commission au Parlement Européen, aucune date n’est encore connue dans ce processus. En France, le Sénat a été saisi du texte le 24 janvier dernier sous la forme d’une proposition de résolution d’opposition à l’adoption de la Directive Européenne, présentée à la Commission des Affaires Européennes par la sénatrice UDI Catherine Morin-Desailly. Dans son argumentaire, elle relève pourtant le flou de la réglementation nationale qui « impose l’accessibilité de tous les sites des organismes publics selon un référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA) lui aussi fondé sur le standard international WCAG 2.0. Mais le cadre français ne prévoyant ni mesures d’accompagnement, ni sanctions, cette ambition est loin d’être réalisée. » Elle souligne l’intérêt pour tous de cette accessibilité: « Certains sites ont déjà été rendus accessibles; la nouvelle version du site Légifrance a ainsi connu une augmentation de 50 % de son audience depuis sa mise en service à l’automne 2012. L’amélioration de l’ergonomie bénéficie aux personnes handicapées mais aussi à tous les autres internautes; et elle s’accompagne d’un meilleur référencement par les moteurs de recherche. »

Mais finalement, pour rejeter le projet de Directive Européenne, la sénatrice conclut en dénonçant l’alourdissement « de la tâche des organismes publics, puisqu’aux termes de son article 6, leurs sites seraient encouragés à fournir une déclaration relative à leur accessibilité et notamment à leur conformité à la directive européenne. L’efficacité de cette procédure, qui n’est assortie d’aucune sanction, demeure tout de même sujette à caution. L’article 7 prévoit un contrôle permanent de l’accessibilité des sites web des organismes publics lors de leur construction et à chacune de leurs mises à jour. Les États membres devraient en outre présenter tous les ans des rapports sur les résultats de ce contrôle et sur l’application de la directive. Il faudra donc des fonctionnaires européens pour lire les rapports et contrôler les contrôleurs ! Ne serait-il pas plus approprié de s’en remettre aux États membres ? »

En France, on sait déjà ce que cela veut dire : ne pas appliquer la réglementation nationale, comme on l’expliquait encore en octobre 2012. Mais c’est la voie qu’a suivie la Commission des Affaires Européennes du Sénat en adoptant une résolution qui demande au Gouvernement de « s’opposer à l’adoption de cette proposition de directive, dont la nécessité ne paraît pas clairement établie. » Si la résolution soutenue par la sénatrice Catherine Morin-Desailly est suivie par l’ensemble des parlementaires, l’accessibilité même parcellaire des sites web publics restera un rêve… inaccessible.

Laurent Lejard, février 2013.

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