Un jeu vidéo sans image, ce n’est pas inédit, mais encore très original : « C’est justement cet aspect qui nous a plu, explique Pierre-Alain Gagne, fondateur et gérant du studio de création Dowino. Mais aussi de se dire que le jeu vidéo est la première industrie culturelle mondiale et que contrairement aux livres, aux films, c’est la seule qui ne soit pas ou très peu accessible aux personnes non voyantes. On s’est dit qu’il y avait certainement quelque chose à faire pour amener un jeu ambitieux à ces personnes-là. Et que d’un autre côté, s’il était ambitieux, il plairait aussi aux joueurs traditionnels parce que c’est une expérience sensorielle inédite et innovante que d’avoir à se passer de la vue pour jouer à un jeu vidéo. Pour nous, c’était également une façon de sensibiliser le grand public au handicap visuel en se mettant dans la peau d’un chevalier aveugle. »

Lors de l’élaboration de A Blind Legend (« Une légende aveugle »), Dowino a regardé ce qui s’était fait précédemment, tel le jeu La malédiction : « Il était pas mal, mais pas en son 3D binaural et pas aussi poussé que ce que l’on a réalisé, poursuit Pierre-Alain Gagne. On a regardé aussi Papa Sangre sur mobile, qui est en binaural et constitue notre modèle en termes de qualité sonore. Mais de manière générale, on a constaté que c’était souvent des jeux de repérage et pas des jeux d’action, de combat, d’aventure, avec un scénario, de l’interaction. Ça n’existait pas, parce que c’est assez complexe sans image, on a voulu relever ce challenge. »

Et pour cela créer une histoire. « On s’est inspiré de la littérature médiévale, précise Jérôme Cattenot, directeur artistique. Tout ce qui rappelle la matière de Bretagne, la légende du roi Arthur, Perceval, beaucoup plus que les univers d’heroic fantasy du type Seigneur des anneaux. On avait envie de créer une atmosphère assez réaliste, même s’il y a des choses un peu étranges dans les situations, les personnages. »

Un manieur d’épée aveugle, cela rappelle le mythique samouraï aveugle japonais Zatoichi, popularisé dans de nombreux films des années 60, une série télévisée, des mangas et plus récemment un film réalisé en 2003 par Takeshi Kitano. « Ce n’est pas un film qu’on a pris en référence, poursuit Jérôme Cattenot, parce qu’il repose beaucoup sur le combat, mais c’est un personnage qui a une manière de se battre assez chorégraphique, époustouflante, troublante, qui nous a inspiré pour le moteur de combat, dans la manière dont le joueur va d’un seul coup terrasser un adversaire. Ça nous vient un peu de Kitano, de Zatoichi. »

« S’il a été imaginé au départ comme un jeu pour aveugles, Blind Legend a très rapidement été conçu comme un jeu pour tous. Tout permet de jouer de manière très simple, l’interface est uniquement sonore, on utilise l’écran du téléphone pour glisser le doigt dans différentes directions pour marcher, tourner, donner des coups d’épée, pour se protéger. On peut jouer dans le bus, dans le métro, dans son lit, il suffit d’avoir un bon casque stéréo et même s’il y a un peu de bruit autour, l’ambiance du jeu est très enveloppante, très immersive. »

Mais pourquoi la radio France Culture, que l’on n’imagine pas spontanément sur le terrain du jeu vidéo, s’est-elle intéressée à Blind Legend au point d’en devenir partenaire ? « Simplement parce que c’est une histoire, explique Florent Latrive, délégué aux nouveaux médias. Nous avons un département qui s’occupe de fiction radiophonique, traditionnellement. Dans ce département, des réalisateurs ont l’habitude de faire du casting d’acteurs, de travailler sur le son, et là c’est ce qui s’est passé. Un réalisateur a dirigé les acteurs pendant toute la production du jeu, un exercice à la fois très proche de la radio et aussi éloigné puisque ce n’est plus de l’antenne mais un jeu vidéo. Le deuxième aspect, c’est aussi le son en lui-même, qu’un jeu vidéo soit uniquement sonore nous a intéressé d’autant que nous travaillons sur des expérimentations autour du binaural qui est un son 3D dont l’écoute au casque est totalement immersive, pour de nouvelles formes de récits. »

Comme pour la fiction radiophonique La guerre des mondes ou la série Sur les bancs.  » Plus ça va, reprend Florent Latrive, plus les réalisateurs de fiction radiophonique travaillent et s’approprient ces outils qui demandent une écriture spécifique parce qu’évidemment, c’est ça qui est passionnant, on n’écrit pas de la même façon pour une fiction radiophonique classique, en stéréo par exemple, qu’on écrit pour une fiction en binaural où les effets recherchés, les modes d’écriture, l’intervention des acteurs, ne se font pas de la même manière. »

Blind Legend
 est téléchargeable gratuitement, ce qui veut dire que l’éditeur ne gagnera pas directement d’argent par le téléchargement. Encore que : « L’idée, c’était de financer le jeu en amont, conclut Pierre-Alain Gagne. C’est pour cela que l’on a fait une campagne de financement participatif qui nous a permis de lever 40.000€ et de nous faire connaître de partenaires comme France Culture, le Centre National du Cinéma, la région Rhône-Alpes, qui ont soutenu le projet financièrement. Le jeu est certes téléchargeable gratuitement, par contre il y a un système d’achat de vies : quand on perd une vie, on attend une vingtaine de minutes ou on peut acheter un pack de vies supplémentaires. Cela permet aux gens impatients de nous soutenir aussi et de maintenir le jeu parce qu’il y a forcément des frais de maintenance, de mise à jour, de serveur qui sont assez élevés. » Au total, l’élaboration de Blind Legend représente un budget de près de 300.000€, à prix coûtant, sans que leurs designers comptent leurs heures. Aux gamers de ne pas compter les leurs !

Laurent Lejard, novembre 2015.


A Blind Legend est téléchargeable gratuitement pour Iphone et Android, le niveau 1 pouvant être joué sur ordinateur.

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