En accordant à un adolescent, dont le polyhandicap était d’origine congénitale, le droit d’être indemnisé, la Cour de Cassation considérait le plaignant comme une personne, un être humain victime d’un préjudice devant être réparé. Cette considération est aujourd’hui balayée par les députés, sous la pression d’une certaine caste de médecins qui ne supportent pas que leur responsabilité soit mise en cause quand leurs actes médicaux sont mauvais.
Le corps médical a bien travaillé à son profit, bénéficiant de deux VRP de luxe dans une belle union Droite- Gauche. D’un côté, le Professeur Jean- François Mattéi, député- président du groupe Démocratie Libérale, n’a eu de cesse que de faire supprimer ce droit intolérable à ses yeux qu’aurait un enfant de se plaindre des conséquences sur sa vie quotidienne d’un handicap de naissance trouvant son origine dans une erreur de diagnostic médical. Cet enfant devrait trouver salut et consolation dans la solidarité nationale, celle qui accorde des allocations misérables qu’il faut quémander tous les cinq ans comme si une cécité, une surdité, une paraplégie, une trisomie ou une infirmité motrice cérébrale étaient réversibles !
De l’autre, le ministre de la Santé, Bernard Kouchner, qui s’est rappelé à cette occasion qu’il était médecin : « on ne pouvait accepter plus longtemps qu’un enfant puisse poursuivre en justice ses parents sous le grief de l’avoir laissé naître ». Lui qui a en charge un système public de santé en crise, dont les personnels sont usés par des conditions de travail devenues indignes d’un pays développé et qui multiplient les manifestations revendicatives et les grèves, a décidé de voler au secours de ses confrères pour les protéger de ces quelques enfants mal- nés dont les demandes en justice seraient incongrues à ses yeux.
En décidant de sanctionner la Cour de Cassation, les politiques et les parlementaires limitent le pouvoir d’une justice rendue « au nom du Peuple Français » et ravalent l’enfant, dont le handicap congénital trouve son origine dans une erreur médicale, au rang d’objet dont les défauts d’aspect nécessiteraient que ses parents- propriétaires soient indemnisés pour les dépenses supplémentaires d’entretien occasionnées. Encore leur faudra- t-il en apporter les preuves !
Le débat sur les conséquences de la confirmation de l’arrêt Perruche aura été rondement mené et tranché, en cinq semaines, sous la pression d’une grève inique des échographies gynécologiques, vicié qu’il était par de fausses considérations sur l’interruption de grossesse préférable à la vie handicapée. Cet écran de fumée, alimenté par des conservateurs de tous poils actifs notamment au sein du Collectif contre l’handiphobie, a piégé la plupart des dirigeants associatifs et a bien servi les intérêts de la caste des médecins, et de leurs compagnies d’assurance, grandes gagnantes de l’opération.
Claude Evin, ancien ministre de la Santé, déclarait le 13 décembre dernier, lors d’un débat à l’Assemblée Nationale « je considère […] qu’en indemnisant un enfant handicapé on lui reconnaît sa dignité ». Le Parlement a décidé du contraire.
Laurent Lejard, janvier 2002
Le compte-rendu intégral du débat du 10 janvier à l’Assemblée Nationale est consultable en suivant ce lien.