En l’absence notable de la plupart des dirigeants du secteur associatif national, la psychanalyste Julia Kristeva a récemment réuni à Paris ce qui se voulait être des États- Généraux du handicap. A l’instar de ses devanciers de la Ligue pour l’Adaptation du Diminué Physique au Travail (LADAPT) en avril 2003, le Conseil National Handicap de 2005 n’a pas organisé de débats démocratiques locaux préalables et n’a donné la parole aux acteurs de terrain qu’au moyen d’un appel à projets dont aucune synthèse n’a été présentée au public. Pire, les prétendus engagements exposés ont été élaborés avant le débat…
Au hasard des forums, on surprenait des propos étonnants témoignant du caractère très hétéroclite des intervenants. Bernard Pivot nous apprenait par exemple que « c’est aux psychiatres de nous dire comment on doit vivre avec les personnes handicapées » ! Quand André Fertier, fondateur de plusieurs associations culturelles, affirmait : « Cela fait 25 à 30 ans que j’interviens en faveur des pratiques culturelles des personnes handicapées, la situation n’a pas beaucoup changé »… Un cadre de la Ville de Paris lui faisait écho : « L’accès à la culture, c’est long, c’est compliqué, ça prendra beaucoup de temps ». Pia Cohen, dirigeante du Fonds Social Juif Unifié, assénait : « Le handicap, c’est l’approfondissement du sens de la vie » ! Le professeur en gynéco- obstétrique Israël Nisand se livrait pour sa part à une talentueuse diatribe au terme de laquelle il exécutait brillamment, sous les applaudissements du public, le diagnostic prénatal et l’interruption médicale de grossesse, assimilés tous deux à de l’eugénisme. Exit le droit des femmes à disposer de leur corps, la condition féminine renvoyée aux années 1950 sous le regard impavide de la psychanalyste Charlotte Dudkiewicz- Sibony !
Quels étaient les buts recherchés de ceux qui ont affirmé tout au long de la journée vouloir servir la « cause des personnes handicapées », expression employée notamment par Jacques Chirac dans son message lu à l’assistance, et par Julia Kristeva dans son discours ? Tout d’abord, remettre en selle les « spécialistes » du handicap, ceux qui prétendent mieux connaître la vie des personnes handicapées que ceux qui la vivent. Universitaires et psy de toutes obédiences étaient donc à la fête, tous valides évidemment (à l’exception de la psychanalyste devenue aveugle Maudy Piot). Il s’agissait également de mieux positionner la création d’un Institut national de formation, de recherche et d’innovation pour laquelle militent Julia Kristeva et Charles Gardou, co-présidents du Conseil National Handicap. La quasi- totalité des engagements ont en effet porté sur la nécessité de mieux informer et former les « professionnels du handicap », mission que remplirait naturellement l’Institut national Kristeva- Gardou… Qui oublient au passage de se souvenir que ces missions sont déjà assurées par moult organismes : C.T.N.E.R.H.I, R.F.R.H, CNEFEI…
Une question pourtant essentielle a été complètement passée sous silence : les finances. Peut- être pour ne pas gêner les deux ministres intervenants. Mais comment mettre en oeuvre les engagements exposés par le Conseil National Handicap sans s’intéresser à ce qui demeure le « nerf de la guerre » ? Il serait dommage que la diversité des projets adressés à ce Conseil, et que l’intérêt de certaines actions (telle la volonté de Fédérations professionnelles du bâtiment et des travaux publics de travailler ensemble à l’information des professionnels et décideurs en matière d’accessibilité) soient victimes d’une hypocrisie : croire qu’une politique de société ouverte n’a pas de prix… et donc aucun coût.
Autre question demeurée sans réponse : pourquoi Julia Kristeva associe-t-elle si peu les personnes handicapées à ses initiatives ? Croit- elle que le handicap est contagieux ? Peur, angoisse, refoulement ? Boudés par les poids- lourds que sont les associations nationales, regardés du bord du chemin par quelques millions de personnes handicapées qui espèrent encore une amélioration de leur vie quotidienne, le discours et l’action de Julia Kristeva et de Charles Gardou risquent de n’être qu’une gesticulation de plus. Dommage ?
Laurent Lejard, mai 2005.