L’État, c’est-à-dire le contribuable, devra indemniser les familles en lieu et place des compagnies d’assurance des médecins fautifs. Certes, cela coûtera beaucoup moins cher aux finances publiques que les errements de gestion de feu le Crédit Lyonnais, revenus à la une de l’actualité avec le jugement de Bernard Tapie et de l’affaire Executive Life. Mais la Nation devra bel et bien indemniser le préjudice des enfants nés handicapés parce que de piètres praticiens ont mélangé des tests prénataux ou n’ont pas été capables de les interpréter.
Le caractère rétroactif de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, pour ce qui concerne l’interdiction d’obtenir l’indemnisation du préjudice résultant d’une erreur de diagnostic entraînant la naissance d’un enfant handicapé, fut à l’époque traité de « monstruosité juridique » : les praticiens fautifs étaient coupables mais pas responsables, seul le préjudice moral des parents était indemnisable et l’enfant n’avait qu’à s’asseoir sur le sien, tout au long de sa vie puisqu’elle devait reposer sur la solidarité nationale ! Cette législation scélérate a été voulue par le très catholique député Jean-François Mattéi, médecin de son état et grand protecteur de ses confrères. Au mois de mai suivant, il devenait pour deux ans Ministre de la santé du gouvernement Raffarin et exhibait à chaque reproche le projet de loi sur la compensation du handicap. Une loi qui devait tout régler mais qui n’a guère ému les juges de Strasbourg : « Le caractère très limité de la compensation actuelle ainsi que l’incertitude régnant sur l’application de la loi de 2005 font que depuis l’intervention de la loi du 4 mars 2002, on ne peut considérer que cet important préjudice est indemnisé de façon raisonnablement proportionnée ».
Les deux familles qui ont porté la loi anti-arrêt Perruche devant la justice européenne vont devoir attendre un nouveau jugement, ou négocier avec l’État, pour définir le montant du préjudice de leur enfant : aides humaines et techniques, aménagement du domicile et de véhicules, perte de chances dans l’existence, etc. La note devrait être élevée mais ce n’est pas Jean-François Mattéi qui la paiera : il a été, depuis, recyclé à la Présidence de la Croix-Rouge…
Laurent Lejard, octobre 2005.