La probité et la volonté de Philippe Bas ne sont pas mises en cause, et ne sont pas à remettre en cause, en l’état. Pour qui l’a rencontré, le doute n’est pas permis. Néanmoins, force est de reconnaître que les promesses faites, particulièrement en matière d’aide humaine, n’ont pas été tenues, loin s’en faut. Sur le terrain, nous avons affaire, en ce début d’année, à une tartuferie kafkaïenne aux conséquences dramatiques.

Promis-juré, il n’y aura pas de rupture entre le dispositif grande dépendance et la prestation de compensation. En attendant que la prestation de compensation entre en vigueur, le ministre garantissait que les fonds (c’est-à-dire les forfaits postes indispensables aux employeurs et aux services fonctionnant en mandataire ou au gré à gré) destinés à honorer les salaires des aidants seraient disponibles courant janvier. Or, il n’en a rien été. Malgré toutes les interpellations et les promesses réitérées à la moindre occasion. Aucun département, aucune DDASS n’a été en mesure de respecter cet engagement.

Des dizaines d’employeurs se sont soudain retrouvés dans l’impossibilité de payer les salaires de leurs aidants, au milieu d’une cacophonie et d’une débine administrativo-étatique généralisées. La meilleure preuve de ce « courage fuyons » est que, depuis mi-décembre, le cabinet du ministre ne répond plus, étonnamment sourd à tous les appels et à tous les e-mails qu’il reçoit presque journellement depuis 15 jours, lui qui ne rechigne jamais à répondre lorsqu’il n’est pas dans l’embarras…

Sans compter que le décret du 19 décembre 2005, complété par l’arrêté du 2 janvier 2006 (lui-même modifiant l’arrêté du 29 décembre 2005, nourrissant ainsi l’impression de bricolage générée par cette loi qui dépasse tout le monde) n’a rien trouvé de mieux à faire que de réduire les personnes en situation de grande dépendance à des « situations exceptionnelles », sous prétexte que ce sont des « exceptions » (qui doivent le rester, pour des raisons humanitaires, évidemment), et pour lesquelles on préconise généreusement d’aller au-delà du plafond des 12 heures de prise en charge maximale.

Cependant, la petite phrase, qui précise cette préconisation, est tellement sibylline qu’elle ne peut que laisser craindre le pire en matière d’interprétation et d’application aux anciens et aux futurs bénéficiaires. Il suffit pour s’en convaincre de constater les inégalités de traitement qui existent déjà entre les différents départements (80 % d’entre eux n’ont toujours pas signé la Convention les liant à l’État) !

Aujourd’hui, chacun observe, critique et compte les points et ses sous, en prétextant les dérives de l’A.P.A, pendant que les personnes handicapées, qui attendaient tant de cette loi, leur loi, trinquent et crèvent en avalant les couleuvres et en préparant des actions dictées par la colère. Et, après ça, on veut nous faire croire que ces « exceptions » médicalisées ont des chances d’être considérées un jour comme des citoyens à part entière, pouvant espérer une égalité des droits et des chances. C’est beaucoup de naïveté que de le penser.

D’autant que, pendant ce temps, le médiateur (handicapé lui-même), désormais souhaité de façon quasi consensuelle depuis deux mois, ne voit pas le jour pour des raisons obscures. Lui qui, sur le modèle de l’ombusdman suédois, serait un trait d’union entre l’État, les administrations locales et nationales et les « usagers », garant du respect de l’esprit de la loi, donc de sa bonne application, d’une application égalitaire. Un espoir pour beaucoup. Notamment la vingtaine de dossiers individuels qui sont censés être traités d’urgence par le cabinet du ministre depuis près des deux mois…

Mais qu’attend-on ? Qu’il soit trop tard, comme toujours. Et que le dépit explose.

Marcel Nuss, février 2006


Post scriptum : 
contrairement à ce qui m’avait été annoncé par une préfecture, courant janvier, ce n’était pas 80 % des conseils généraux qui n’avaient pas signé la convention avec l’État mais 2 sur 101. Néanmoins, cela ne change rien au fond du problème. Du reste, les actions annoncées dans cet article ont démarré par une manifestation organisée par la Coordination Handicap et Autonomie sous les fenêtres du ministère de la Santé le 9 février, alors que Philippe Bas donnait une conférence de presse afin de commémorer le premier anniversaire de la loi du 11 février 2005. À cette occasion, une délégation de manifestants avait été reçue par le cabinet du ministre, au cours de laquelle avaient été faites des promesses qui n’ont pas été tenues, du moins dans les délais, puisque certaines décisions devaient se concrétiser dans les 48 heures… il y a 15 jours.

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