« Les assureurs appelés à jouer un rôle majeur face au vieillissement de la population », proclame la Fédération Française des Sociétés d’Assurances dans son dernier bulletin d’actualité Assurer. À l’appui de sa profession de foi, ce syndicat professionnel des assureurs nous livre les résultats d’un sondage dans lequel 61 % des personnes interrogées estiment que la prise en charge de la dépendance doit être confiée en tout ou partie à l’assurance privée et aux mutuelles. Certes, on aurait été surpris qu’une enquête d’opinion commanditée par le lobby assuranciel présente un résultat qui lui soit défavorable. Mais on ne peut évacuer ainsi le résultat de ce sondage, parce qu’il apparaît témoigner d’une défiance à l’encontre de la solidarité nationale. Faute d’avoir confiance dans le discours et les actes des politiques, les citoyens se tournent vers la seule alternative qui leur soit proposée : l’assurance à but lucratif.

Car c’est bien d’un marché dont on parle ici, celui des adultes aujourd’hui bien portants mais auxquels on fait miroiter le risque d’une prise en charge a minima de leur éventuel futur besoin d’aide à domicile si, du fait de l’âge, ils n’étaient plus autonomes. La pression est d’autant plus forte que le Gouvernement envisage de ponctionner le patrimoine de ces adultes bien portants s’ils devaient plus tard consommer de la solidarité nationale : la réintroduction de la récupération des sommes versées à ce titre sur les successions agit comme un épouvantail, la plupart des gens ne voulant pas que ce qu’ils ont acquis par leur travail et qui doit revenir à leurs enfants soit détourné au profit des collectivités locales qui paient les aides aux personnes âgées dépendantes. De fait, après avoir travaillé et payé des impôts toute leur vie, on leur annonce que leur patrimoine est condamné à être étouffé parce qu’ils n’auront pas eu la chance de conserver un bon niveau de santé et d’autonomie dans leurs vieux jours ! La mauvaise réputation des maisons de retraite alliée à leurs tarifs excessifs agit également comme un épouvantail, incitant au maintien à domicile coûte que coûte : 10 % seulement des sondés envisagent d’y placer un parent âgé dépendant.

Toutefois, la spoliation patrimoniale est en partie fantasmée, parce que de nombreux départements renoncent à engager une action en récupération des dépenses d’aide sociale ou d’hébergement pour lesquelles cela est actuellement possible. L’essentiel est ailleurs : faire peur pour pousser le maximum de personnes à s’assurer. Pour accentuer encore l’effet d’attractivité de l’assurance, ce lobby propose de recourir aux exonérations fiscales. Alors même que le Gouvernement prétend chasser les niches fiscales, en créera-t-il une en faveur de l’assurance dépendance ? Dans cette affaire, l’État apparaît comme le vilain petit canard, recueillant seulement 44 % d’opinions favorables contre 68 % pour les sociétés d’assurances, 69 % pour l’assurance-maladie, 70 % pour les départements. Cette perte de confiance dans une solidarité nationale mise en oeuvre par l’État, qui ne garantira plus un niveau correct de prise en charge à domicile, fera les beaux jours des mutuelles et des assureurs privés. Et il est légitime de s’interroger sur la collusion d’intérêts des décideurs politiques.

Laurent Lejard, juin 2008.

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