La loi du 11 février 2005 a ouvert aux entreprises assujetties à l’obligation d’emploi de 6 % de travailleurs handicapés une possibilité de ne pas s’acquitter de la contribution financière dont elles sont redevables si elles n’atteignent pas le quota légal. Elles peuvent négocier avec les syndicats représentatifs un accord en faveur de l’emploi dont les actions sont financées par la contribution due (Art. L5212-8 du nouveau Code du Travail). Cet accord est soumis à l’agrément du Directeur Départemental du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle; à son terme, les sommes qui n’ont pas été consommées doivent théoriquement être versées à l’État, majorées d’une pénalité de 25%. Mais en pratique, ces sommes sont reportées sur un nouvel accord s’il est conclu. Seule la DDTEFP peut exercer un droit de sanction sur la réalisation de l’accord, la législation n’ayant pas prévu que sa mise en oeuvre associe obligatoirement l’entreprise et ses syndicats.
Cette lacune vient de créer un incident qui pourrait se reproduire. En effet, s’il suffit qu’un seul syndicat signe un accord d’entreprise pour qu’il entre en vigueur, les organisations syndicales majoritaires lors des élections au Comité d’Entreprise ont un droit d’opposition qui entraine la nullité d’un accord. C’est ce qui vient d’arriver dans une importante société de services d’ingénierie informatique : depuis le début de l’année, CapGemini Outsourcing n’a plus d’accord en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés. Deux des quatre syndicats ont signé à l’automne dernier un nouvel accord triennal succédant au premier qui couvrait la période 2006 à 2008 (dont 20% seulement du budget a été utilisé selon la CGT), les deux autres, majoritaires, ont formulé une opposition qui entraine l’annulation dudit accord. Si FO et la CFTC ont approuvé l’accord proposé par la direction, la CGC a refusé de le signer, et la CGT et la CFDT ont dénoncé un chèque en blanc que la direction signe pour elle-même.
En cause, le bilan du premier accord d’entreprise conclu dans le cadre obligatoire de la loi du 11 février 2005, jugé nettement insuffisant : un quota d’emploi de 1,34% de travailleurs handicapés au lieu des 6% légaux, le financement d’actions de communication externe dont une partie sans lien avec l’emploi, le sponsoring de l’équipe de France handisport lors des Jeux Paralympiques de Pékin, des subventions à des associations, etc. « Dans l’accord précédent, constate Yvan Béraud chargé de son suivi pour la CFDT, les fonds dépensés portent essentiellement sur de la com’. La direction a refusé et refuse toujours la gestion paritaire des fonds prévus par l’accord. Dans le même temps, l’entreprise licencie des salariés devenus handicapés parce qu’ils sont moins productifs ». La proposition de la direction de CapGemini Outsourcing (qui s’est refusée à tout commentaire) de reconduire l’accord précédent sans évolution significative a en conséquence été rejetée par deux syndicats. « L’entreprise, poursuit Yvan Béraud, va chercher des ingénieurs handicapés dans les grandes écoles. Mais il n’y en a pas. Elle n’a pas la volonté de recruter à un niveau inférieur, par l’apprentissage. Elle veut des ingénieurs. »
Cette opposition met en évidence une pratique qui tend à se répandre : le détournement à d’autres fins, par des employeurs dont la politique de recrutement est inadaptée à la réalité du marché, de la contribution en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés. Par exemple, depuis plus d’un an, on constate une multiplication des encarts publicitaires dans les magazines consacrés au handicap (à un point tel que les annonceurs traditionnels en ont quasiment disparu), des trophées Emploi et colloques en tous genres, des actions de sponsoring sportif ou autre. En pratique, des entreprises de toutes tailles utilisent sans contrôle l’argent destiné à l’emploi des travailleurs handicapés pour faire briller leur image de marque… tout en n’employant pas ou peu de travailleurs handicapés. Si l’on peut estimer encore marginal ce phénomène, la récession économique alliée aux difficultés d’insertion professionnelle risque d’amplifier le dilemme auquel sont confrontés les gestionnaires : financer de la propagande pour consommer leur contribution financière, ou engager une politique réaliste de recrutement.
Visiblement, certains ont déjà fait leur choix.
Laurent Lejard, février 2009.