Si la loi du 30 juin 1975 traitait justement des aspects fonctionnels de l’accessibilité et de l’adaptabilité de l’habitat collectif, la pénurie chronique de logements accessibles montre que, faute de contrôle effectif, son bilan quantitatif fut loin d’être satisfaisant. Dès 1985 une étude du ministère de l’Équipement dévoilait que 60% des appartements neufs ne respectaient pas les règles prévues.

Ces constats désignaient instinctivement les objectifs de la loi du 11 février 2005 : compenser les retards, prévenir des situations de handicap générées par un habitat inadapté qui vont se multiplier avec le vieillissement de la population, étendre la réglementation à l’habitat individuel, mettre en place un contrôle efficace. Or, l’analyse des réponses apportées révèle qu’en terme d’habitat collectif, la loi du 11 février 2005 ne produira pas un logement accessible de plus que sa devancière.

En milieu urbain, où l’habitat collectif prédomine, la nouvelle réglementation prévoit une « réservation » pour la pose ultérieure d’un ascenseur dans les immeubles non concernés par la règle commune (ceux de trois étages ou moins) dès lors qu’ils proposent plus de quinze appartements au-dessus du rez-de-chaussée. De tels immeubles distribueraient cinq à six appartements par palier, ce qui est rare sinon impossible. En recensant une moyenne de 6,20 appartements par immeuble de quatre étages, l’INSEE démontre l’irrationalité et la disproportion du seuil retenu, et par là-même la portée illusoire de la disposition le justifiant. En réalité, seuls les appartements en rez-de-chaussée et à partir du quatrième étage seront potentiellement adaptables. C’est précisément ce qu’imposait la loi du 30 juin 1975 !

En terme d’habitat individuel, les dispositions inventées pour des constructions nouvelles seraient qualifiées d’indécentes, dans des constructions existantes, par la loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbains. En cause, un alinéa restrictif de la la loi du 11 février 2005 soustrayant à toute obligation d’adaptabilité les logements individuels construits pour le propre usage de leur propriétaire, 85% d’entre eux répondant à ce critère : seules 15% des nouvelles réalisations auront obligation de répondre à des normes d’adaptabilité, dont certaines défient l’entendement. Alors que la loi SRU qualifie d’indécente toute habitation dépourvue de baignoire ou de douche, la loi du 11 février 2005 répute « adaptée » une maison à étage dans laquelle une personne ne pouvant utiliser l’escalier devra, faute de chambre indépendante et salle de bain accessibles, dormir sur un lit de fortune dans un salon ouvert sur la cuisine et faire sa toilette à un simple lavabo, dans le cabinet d’aisances !

En terme de contrôle, le mode récent d’instruction des permis de construire obère la nouvelle procédure. Depuis le 1er octobre 2007, les plans de l’intérieur des bâtiments ne sont plus constitutifs du dossier de permis de construire. Dès lors, sans possibilité d’expertise préventive, l’accessibilité et l’adaptabilité s’apprécieront en fin de chantier alors qu’il sera impossible de remédier aux manquements. Dans le contexte de pénurie de logements, difficile d’imaginer que des appartements neufs, non-conformes au seul sens de l’accessibilité, puissent ne pas être livrés.

Au-delà des illusoires et ubuesques dispositions promettant des ascenseurs fantômes dans des immeubles virtuels et inventant un miraculeux concept d’escalier « adapté » conduisant aux dérives dénoncées, la réglementation illustre l’inconséquence politique à ne pas appréhender et assumer à sa juste importance un enjeu sociétal majeur des prochaines décennies : la préservation, dans leur environnement familier, de la qualité de vie des personnes en perte d’autonomie.

Compte tenu de réelles difficultés à traiter l’habitat existant, il convenait d’imposer l’adaptabilité de l’habitat nouveau, bien intergénérationnel et durable par essence, comme le principe fondamental de précaution protégeant ses occupants des vicissitudes d’éventuelles pertes d’autonomie accidentelles ou liées à l’âge. Persister à traiter aussi légèrement l’accessibilité risque fort de conduire, au vu des besoins prévisibles auxquels il faudra bien répondre, à une concentration rentabilisée de l’habitat « adapté » digne d’une ghettoïsation et d’une marginalisation d’une autre époque.


Christian François, administrateur de l’Association Nationale Pour l’Intégration des personnes Handicapées Moteurs (Anpihm), administrateur et représentant de la Coordination Handicap Autonomie (C.H.A) à la commission Accessibilité du Conseil National consultatif des Personnes Handicapées (C.N.C.P.H), juin 2009.

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