Le Sénat a lancé la charge, et le club politique Réformateurs Libéraux d’Hervé Novelli, ancien secrétaire d’État au tourisme, enfonce le clou : il faut alléger les normes réglementaires qui pèsent sur les collectivités locales, y compris celles portant sur l’accessibilité. « Les règles, lois, circulaires, décrets, règlements produits par le Parlement, les collectivités territoriales, administrations et autres instances ont atteint une cote d’alerte. Cette surabondance de normes empiète sur la sphère des Français et devient attentatoire à leur liberté », assène l’UMP sur son site web. En oubliant bien évidemment que c’est le Gouvernement que dirige le parti majoritaire qui impose lois et décrets à tout-va : près de 1.800 textes en 2010, des arrêtés par milliers et une Administration larguée, qui ne parvient pas à suivre ce rythme effréné de législation. Le discours officiel, en cette période pré-électorale, est donc orienté vers une simplification aux intentions cachées : l’allègement des normes s’intègre dans une action plus globale de déréglementation des activités économiques.

Les personnes handicapées sont particulièrement concernées par ce chantier de révision des normes, qui accumule les contradictions, par exemple dans le domaine de l’emploi. Les personnes handicapées sont fermement invitées à travailler en évaluant d’office leur employabilité lorsqu’elles demandent une allocation, mais comment aller au boulot quand l’accessibilité à la voirie et aux transports collectifs n’est pas assurée en autonomie ? Comment effectuer des tâches dans une entreprise dont l’accessibilité des locaux ne répond pas à des normes obligatoires ? Comment se former à un métier si les lieux d’enseignement et de formation professionnelle ne sont pas rendus accessibles sans dérogation d’aucune sorte ?

Dans un récent rapport, le Sénat s’interroge : « lorsqu’il apparaît qu’aucune personne à mobilité réduite n’est appelée à pénétrer dans un local communal (crèche, salle de projection d’un cinéma,…), ne peut-on donner une chance au bon sens en permettant aux différentes parties prenantes, par une convention à durée déterminée (conduisant à un réexamen des circonstances particulières à l’issue d’une certaine période), de reporter des travaux d’accessibilité si coûteux que la mairie n’aurait, à défaut, d’autre choix que la fermeture pure et simple dudit local ? » En clair, l’accessibilité serait seulement mise en oeuvre s’il se présentait une personne concernée et dans ce cas, on suppose que par un coup de baguette magique les lieux seraient adaptés dans l’instant, et pas au terme de plusieurs années d’études préalables, de constitution de dossiers techniques, de délibérations municipales et procédures de financement, etc. La contrepartie de cette souplesse demandée est qu’en l’absence d’accessibilité, les personnes handicapées préfèreront aller vivre et travailler là où on les accueille normalement, sans attendre que les adaptations nécessaires soient réalisées. L’égalité, en République, ne peut connaître d’exception sous peine d’exclure des composantes de la population.

La souplesse réclamée risque de creuser un autre fossé discriminatoire, celui qui sépare les élus locaux soucieux d’accepter tout le monde et ceux qui pensent que les personnes handicapées devraient plutôt vivre ailleurs que sur leur territoire. Une prime à la mauvaise volonté, en somme. Et ceux qui doutent que des élus soient capables de raisonner ainsi devraient regarder comment, dans certaines communes qui se veulent « bourgeoises », les élus renâclent à financer ou laisser construire des logements sociaux, ou s’efforcent d’attirer certaines catégories sociales favorisées. Quels qu’en soient les habillages verbaux, la révision des normes réglementaires ouvre en grand (et légitime) la voie de l’exclusion sociale des personnes handicapées.

Laurent Lejard, mars 2011.

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